Histoires-3
Un article de Biographies.
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Kislev : Hannoucca
De deux choses, l'une...
Kislev est un mois très joyeux, notamment dans le monde 'Hassidique. Outre 'Hannoucah, il recèle également diverses dates soulignées dans le calendrier 'hassidique, dont le 19 Kislev, jour de la disparition de ce monde du Maguid de Mézeritch, mais aussi libération des prisons tsaristes de son élève le Rabbi Chnéour Zalman de Liady, Maître de la 'Hassidouth 'Habad.
Revenons sur les circonstances de l'arrestation de Rabbi Chnéour Zalman le Rabbi de Loubavitch raconte dans une conversation du Chabbat 'Hayé Sarah 5711:
Lorsque les soldats vinrent arrêter le Admour Hazaken, il s'est dans un premier temps caché, pour accomplir le verset "cache toi un peu, le temps que la colère se calme" (Isaïe, 26, 20).
Par la suite, le Rav Chmouel Munkès conseilla au Rabbi de ne pas se cacher et de suivre les soldats lorsqu'ils se représenteraient. Le Rabbi lui fit remarquer que c'était là un danger, mais le Rav Chmouel Munkès lui déclara:
"De deux choses, l'une. Soit vous êtes un Rabbi, ils ne peuvent pas vous nuire, et si non, comment avez vous osé ôter le plaisir de la vie à des milliers de 'Hassidim?"
Le Rabbi avait effectivement retiré, ou au moins diminué, à des milliers de juifs le plaisir des bonnes choses afin qu'ils puissent arriver à la connaissance de D.ieu.
Les 'Hassidim racontent plus en détail ce que fut l'intervention de Rav Chmouel Munkès.
Un haut officier se présenta durant 'Hol Hamoed Souccot 5559 (1798) pour arrêter Rabbi Chnéour Zalman. Le Rabbi eut le temps de s'enfuir par la porte arrière. Il avait décidé de prendre le temps de réfléchir et s'entretenir avec ses proches avant de se rendre à la police. L'officier fit savoir qu'il se présenterait dans quelques jours, après la fin de la fête, pour arrêter le Rabbi.
Parmi les personnes qui s'entretinrent avec le Rabbi figurait Rav Chmouel Munkès. Malgré sa réputation de pitre attitré, c'était un des 'Hassidim les plus attachés au Rabbi, connu tant pour la profondeur de sa réflexion que pour ses propos tranchants.
Il demanda au Rabbi la permission de raconter une histoire.
"Le Tsaddik Rabbi Mena'hem Mendel de Vitebsk avait l'habitude de se rendre une fois par an chez son maître, le saint Maguid de Mézeritch, Rabbi Dov Ber, à l'approche de Pessa'h.
Il avait un cocher habituel, qui l'emmenait à Mézeritch sans bourse délier. Mais cette année là, notre homme n'avait pas fait des bonnes affaires et hésitait à s'absenter pour tant de temps à l'approche d'une fête au demeurant fort coûteuse. Il laissa entendre au Rabbi qu'il préférait rester à Vitebsk et gagner quelques roubles de plus qui seraient les bien venus à la maison.
Rabbi Mena'hem Mendel le rassura complètement. Il fallait faire confiance à D.ieu, et dans tous les cas il lui suffirait de vendre un de ses deux chevaux pour que sa femme puisse préparer tout le nécessaire pour un Pessa'h convenable.
Notre cocher accepta et après avoir vendu un cheval en laissa l'argent à sa femme, puis se mit en route, cahin-caha.
Quelle route! Si le chemin était d'habitude difficile, il l'était maintenant deux fois plus avec cette charrette qui traversait vallées et montagnes, forêt et marécages attelée à un seul cheval.
La descente d'une montagne s'avéra fort difficile. Connaissant le sentier, le cocher descendit de son siège et guidait prudemment le cheval dans les ornières du chemin, entre le ravin et la montagne, retenant le cheval par les rênes.
"Pourquoi es tu descendu de ton siège, et pourquoi aller si lentement?" s'impatienta Rabbi Mena'hem Mendel,
que le changement d'allure avait tiré de ses pensées.
"Fouettes le cheval, il faut se hâter!"
Le cocher ne se posa pas de question. Il remonta sur son siège, agita le fouet, et le cheval repartit au galop.
Au bout du chemin, en bas de la route, la superbe propriété d'un seigneur, entourée d'un beau jardin, de serres, un magnifique portail qui vola en éclat. Le cocher n'avait pu retenir le cheval, poussé par la charrette, et la cavalcade s'était terminée dans les serres, au milieu d'éclats de verre.
Le seigneur sortit de son manoir en rugissant, le fusil à la main, et se dirigea droit vers le cocher. Notre homme terrorisé pointa le doigt vers le Rabbi, comme pour désigner le responsable de ce désastre.
Le seigneur dirigea le canon vers Rabbi Mena'hem Mendel, et tenta d'appuyer sur la gâchette. Mais rien ne bougea. Il sentit son doigt engourdi, douloureux. Sa main était paralysée. C'était son tour d'être terrorisé.
Il poussa un cri terrible. Il avait compris qu'il avait en face de lui un saint homme et marmonna quelques excuses sur sa façon de réagir. Rabbi Mena'hem Mendel lui fit signe que l'affaire était close et qu'il pouvait rentrer chez lui.
Après que le cocher eut remis sa charrette en état et ait repris la route, Rabbi Mena'hem Mendel se tourna vers lui.
"Comment as tu osé me désigner à cet homme comme responsable de cette affaire? N'as tu pas craint qu'il me tire dessus?"
Notre cocher était un homme simple, mais direct.
"Rabbi Vous m'avez conseillé de vendre mon cheval, je l'ai vendu. Vous m'avez conseillé de laisser l'argent à ma femme et de vous emmener, je l'ai fait. Lorsque nous sommes arrivés à cette pente dangereuse, où la prudence recommande d'avancer lentement, vous m'avez demandé d'aller plus vite, je l'ai fait. Je me suis donc dit que si vous êtes un grand Tsaddik, rien ne peut vous arriver. Et si non, n'est il pas juste que vous assumiez les conséquences de tout ceci?"
Rav Chmouel Munkès termina ici son histoire et se tourna vers le Admour Hazaken.
"Rabbi, vous avez introduit une nouvelle voie dans le service de D.ieu, l'annulation de soi même, la soumission de nos propres volontés ou désirs devant la parole divine, un dévouement entier devant le Créateur.
De deux choses l'une: si vous êtes effectivement un Rabbi, il n'y a aucune crainte à avoir, car il ne peut vous arriver aucun mal. Et si non, de quel droit avez vous ôté à tant de juifs la perception des plaisirs de ce monde ci?"
Aharon ALTABE
Tranches de vie 'hassidiques.
Extrait des Lettres de Rabbi Yossef Its'hak
Rabbi Its'hak Eïzik de Homil
le 15 Teveth 5705, 1945.
Brooklyn
A mes chers amis, préférés de mon cœur et aimés du fond de l'âme, les cadres des Yéchivot Tomkhéi Tmimim Loubavitch, A'héi Tmimim Loubavitch, et des 'Hadarim Torah Temimah Loubavitch, que D. soit avec eux et qu'ils vivent.
Chalom et bénédiction!
En suite à nos entretiens de ces derniers temps sur les sujets d'éducation et de pédagogie, je sens, à la lecture des lettres que je reçois de mes chers élèves les Rabbanim distingués, les enseignants et les directeurs des Yéchivot A'héi Tmimim Loubavitch, qu'ils n'ont pas encore saisi l'importante responsabilité qui leur est conférée en matière d'enseignement et de direction spirituelle. C'est pourquoi, je désire m'en entretenir avec eux par écrit.
(…)
Le géant d'entre les Gaonim, le Rav 'Hassid Rabbi Its'hak Eïzik de Homil a raconté à mon Maître, le Rav 'Hassid Rabbi Chmouel Betsalel, que lorsque le Admour Hazaken lui a demandé lors d'une audience, de prendre un poste de Rav, il lui a dit:
"Tu vas devenir un Rav, et prendre sur toi ce sacerdoce. Non seulement tu te dois d'appliquer et être un exemple vivant de la loi, dans tous les détails de ta vie d'homme public, dans les quatre parties du Choul'han Aroukh(2), mais tu dois aussi savoir que tout le mérite de la communauté, comme ses fautes, ses qualités comme ses défauts, sa bonne conduite comme ses mauvais penchants, dépendent du Rav de la ville, car tous scrutent ses actes. C'est de lui qu'on apprend à faire le bien ou le mal, et les bonnes actions comme les mauvaises sont le fruit de son travail."
Le 'Hassid Reb Né'hamiah Zalman de Schwinssiane était l'élève du fameux 'Hassid Reb Mikhele de Opotsk, un des grands 'Hassidim du Rabbi Chnéour Zalman, et était doué d'une force d'approfondissement extraordinaire, il n'était pas un sujet de Guemara(3) ou de 'Hassidout sur lequel il ne soit capable de commentaires d'une grande profondeur. Il avait une tendance naturelle à la solitude.
Reb Né'hamiah Zalman
Reb Né'hamiah Zalman était très ordonné, et observait avec minutie ses temps d'étude et de prières. Il priait le matin, en semaine comme Chabbat et Yom Tov à 9 heures, après une préparation de près de six heures, le Talit posé sur l'épaule 2.
Il priait durant six bonnes heures. En été, il rentrait ensuite chez lui manger et se reposer deux heures. En hiver, il enchaînait les prières de Min'ha et de Arvit, avec de non moins longues méditations, puis rentrait se restaurer et se reposer un peu. Il se comporta ainsi durant de longues années.
Lorsqu'il allait à Loubavitch, rencontrer le Rabbi Tséma'h Tsédek de mémoire bénie, il y passait quelques cinq à six semaines à l'occasion de la fête de Chavouot. Il était toujours assis à la première rangée des invités importants de la table d'honneur qui était dressée le premier jour de la fête pour l'anniversaire de la disparition du Rabbi Baal Chem Tov.
Durant ce repas, en plus du discours 'hassidique que prononçait le Saint Rabbi Tséma'h Tsédek, et de quelques histoires qu'il avait entendues de son grand père le Rabbi Chnéour Zalman, le Rabbi Tséma'h Tsédek aimait surtout s'entretenir de Torah avec les nombreux Rabbanim et Gaonim présents et les surprendre par des remarques d'une grande profondeur.
Au bout du village de Loubavitch, dans la ruelle Zaretchié, dans la direction des propriétés Anaravé, sur la colline à gauche du chemin, il y avait une petite forêt, longue d'un quart de lieue, et moitié moins large. Dans un clairière, une petite cabane, faite de branches d'arbres, près de laquelle coulait un torrent rapide de deux mètres de large, profond d'une demi taille d'homme. C'est ici que Reb Né'hamiah Zalman passait ses journées, depuis deux heures du matin jusqu'à l'approche de Arvit.
Chez le Rabbi Tséma'h Tsédek, le temps imparti à la réception des 'Hassidim commençait quatre à cinq heures avant Arvit en été, et en hiver après Arvit.
Jusque dans les années 5613 et 5614, avant que ne commencent les dénonciations calomnieuses des Maskilim(4) avait lieu la très ancienne coutume de la danse de la Yé'hidout(5): chacun des 'Hassidim qui avaient eu le mérite d'être reçus en audience par le Rabbi s'y associait après être sorti du Saint des Saints. Cette danse, à laquelle ne participaient que ceux qui étaient rentrés voir le Rabbi, était un temps fort de la vie de Loubavitch, et les 'Hassidim venaient former un cercle autour des danseurs, chantant et frappant des mains en rythme avec eux. Même le 'Hassid solitaire Reb Né'hamiah Zalman aimait s'associer à ces manifestations qui symbolisaient la supériorité de l'esprit sur la matière.
Après avoir fait Tikoun 'Hatsot(6), Reb Né'hamiah Zalman allait dans la forêt se tremper dans le torrent, puis prendre place dans sa cabane pour y méditer sur les enseignements de la 'Hassidout et y prier selon son habitude. Après quoi il puisait des eaux du torrent pour se laver les mains et mangeait: du pain trempé dans du sel et de l'eau fraîche. Il se reposait un peu puis après son étude reprenait le chemin de la ville. Ainsi faisait il du premier jour de la semaine jusqu'au jeudi.
Pendant plus de quarante ans, Reb Né'hamiah Zalman avait vécu à Griva, un faubourg de Dennenbourg, chez son beau père, Reb Gabriel Chlomoh l'épicier, un 'Hassid du Rabbi Chnéour Zalman, un homme aisé béni de revenus fort honorables, moyen dans la connaissance de la Torah et de la 'Hassidout, mais connu pour ses bonnes actions, son hospitalité, sa largesse.
Par la suite, il avait vécu du travail de sa femme, au point qu'il n'avait jamais eu d'autres occupations que l'étude et la prière, travail du corps comme de l'âme. Il était parmi les plus grands dans la connaissance de la Torah, un Maskil(7) étonnant dans les sujets enseignés par la 'Hassidout, et capables des plus hauts niveaux dans le "service du coeur", la prière.
Mon grand père le Saint Rabbi Chmouel connaissait bien Reb Né'hamiah Zalman et ne tarissait pas d'éloges à son sujet. Il raconta à mon père que souvent il était allé en cachette dans la forêt pour observer Reb Né'hamiah Zalman au travers des fentes de la cabane. Lorsqu'il était absorbé dans un sujet de 'Hassidout, Reb Né'hamiah Zalman avait les yeux fermés, le visage rayonnant, et il semblait tout entier planer dans les cieux, déconnecté de tout contact avec le monde et de toute perception matérielle.
Et c'est à ce propos, que je tiens à vous faire part d'une remarque que j'ai eu le mérite d'entendre de la bouche même de mon père, à l'occasion d'une promenade en été 5660, lors de son séjour à Sérévrinké.
Lors d'une des Yé'hidout de mon père, Rabbi Chalom Dov Ber, auprès de son père, Rabbi Chmouel, en 5638, mon grand père expliqua que tout le but de la descente de l'âme dans le corps n'est pas dans le seul but d'un service divin axé sur sa propre élévation à travers la Torah et l'accomplissement des Mitsvoth avec sublimation: celui qui agit ainsi, même parvenant à un degré de Tsadik accompli, manque toutefois à la mission pour laquelle son âme est descendue dans ce monde.
Cette mission fort risquée, nécessite que l'âme divine du juif "s'habille" dans l'âme naturelle et plus encore dans l'âme animale. Et D. notre père miséricordieux envoie pour ceci l'âme dans un corps physique, et de ce qu'il y a de plus matériel, pour raffiner la matière du monde, et faire de ce monde fini et bas un réceptacle pour la divinité, et ceci par un travail d'affinement de soi même et d'éveil de son prochain à ce service de D.
A cette occasion, mon grand père cita Reb Né'hamiah Zalman, avec beaucoup d'admiration, et conclut en ces termes:
"C'est une Avoda(8) personnelle, bonne pour un individu donné: tant qu'il est nécessaire de faire une grande Avoda dans Torah et Mitsvoth, avec tous les efforts spirituels et physiques requis, il est incomparable.
Mais ce sont des qualités personnelles, qui n'ont rien à voir avec la finalité de la descente de l'âme dans le corps. Le Baal Chem Tov a révélé depuis longtemps que tout le but de la présence de l'âme sur terre est d'y rendre le monde lumineux par un travail au sein de la communauté: chaque juif doit agir aussi en prenant en compte son prochain. C'est alors que le mérite de l'autre dépend de lui.
En particulier un Rav, un décisionnaire, un enseignant, qui sont les bergers du peuple doivent avoir tout ce dévouement pour la cause du peuple juif, indépendamment de leur propre travail sur eux mêmes, pour eux mêmes, et doivent faire preuve de Avoda, de qualités de cœur et d'esprit dont chacun s'efforcera d'apprendre. Le 'Hassid Reb Né'hamiah Zalman et ceux de sa génération furent certes de grands 'Hassidim, érudits, capables tant de réflexion intense que de service de D.ieu par les qualités de cœur. Mais ce n'est pas là la finalité de la descente de l'âme dans un corps.
Reb Yossef Hillel
Cette finalité s'exprime plutôt dans la Avoda du 'Hassid Reb Yossef Hillel, le Mélamed(9) de Droyé, et du 'Hassid Reb Chmouel Haïm, le Rav de Loutsin, ainsi que ceux de leur génération.
Le Mélamed Reb Yossef Hillel de Droyé avait été formé par les anciens des 'Hassidim de Droye, qui avaient eux mêmes appris des 'Hassidim du Rabbi Chnéour Zalman que le fondement et l'essentiel de toute Avoda est de faire partager son entrain au service divin, à la correction de ses penchants et à l'amour de son prochain... à son prochain.
Cette éducation et cette formation agirent sur Reb Yossef Hillel au point que bien que doué d'une grande force intellectuelle et d'une grande érudition, il avait choisi d'être Mélamed, instituteur, bien qu'il eut pu gagner fort honorablement sa vie en s'occupant d'élèves plus grands. Et ceci pour implanter dans le cœur de ses jeunes élèves l'amour de la Torah et la crainte de D.ieu.
Voici donc cinquante ans que Reb Yossef Hillel travaille, et il a forgé des générations d'hommes imbibés dès l'âge tendre de la crainte de D.ieu.
Ce que Reb Yossef Hillel a implanté dans le cœur de ses jeunes élèves, rien ne peut l'en ôter, ni même l'affaiblir. Et c'est là le but du passage de l'âme dans le corps: faire des juifs comme D.ieu veut que l'on "fasse" des juifs.
Reb Chmouel 'Haïm
Le village de Loutsin, ce n'était pas un endroit de grands 'Hassidim, érudits et servant D.ieu de tout leur intellect: la plupart étaient la bas des Baalei-Batim(10), et de plus, la grossièreté, les disputes, les commérages, la jalousie et bien d'autres maux allaient bon train dans la ville.
En l'année 5627, les 'Hassidim de Loutsin me demandèrent de leur envoyer un Rav, et j'ai envoyé le 'Hassid Reb Chmouel 'Haïm, le Mélamed de Tcharéy, qui avait reçu une Semikha(11) de grands décisionnaires rabbiniques. Reb Chmouel 'Haïm débordait de bonnes qualités, et d'amour de son prochain.
A Tcharéy, il s'était occupé de l'éducation des enfants des familles 'hassidiques, et avait eu une grande réussite. Dès son arrivée à Loutsin, il fut très peiné et affecté de la situation spirituelle des Baaléi Batim et du peuple, mais sans se laisser déboussoler il s'attacha à sa tâche d'éducation et de dirigeant spirituel: atténuer le mal, apporter la lumière de la Torah et des enseignements de la 'Hassidout. En quelques cinq à six ans de travail de fond, avec dévouement et patience il avait transformé les Baaléi Batim et les habitants de Loutsin.
Les efforts dévoués du Rav de Loutsin et du Mélamed de Droyé et de leurs semblables, c'est la véritable finalité de la descente de l'âme dans le corps, et c'est ça qui illumine le monde."
Mon père m'expliqua alors longuement la différence entre le travail personnel sur lui même d'un 'Hassid comme Reb Né'hamiah Zalman, et le travail sur l'entourage comme Reb Chmouel 'Haïm et Reb Yossef Hillel le Mélamed. Dans les deux cas une grande Avoda est demandée, qui implique renoncement à soi même et attachement.
Mais, en plus de la différence primaire que l'on peut percevoir entre œuvrer sur soi et œuvrer sur la vie d'une communauté, il y a encore une distinction plus subtile: dans le travail sur soi le renoncement a pour fin son bien propre, et l'élévation de son âme dans une dimension de plaisir infini. Dans le travail sur l'entourage, le renoncement se fait au seul profit des tiers et aux dépends de soi même.
Mon père, le Saint Rabbi Chalom Dov Ber, compara les qualités de Rabbi Akiba et de notre ancêtre Avraham. Tous deux étaient doués d'une profonde compréhension de la nature divine du monde. Avraham Avinou, qui initia deux millénaires d'étude de la Torah(12), et Rabbi Akiba, dont il est dit qu'il "entra en paix dans le jardin de la connaissance et en sortit en paix"(13).
Tous deux menèrent une vie de constant dévouement à D.ieu et d'abnégation pour la sanctification du nom de D.ieu, avec la différence toutefois que le dévouement de Rabbi Akiba était pour son bien propre, lui qui toute sa vie espéra avoir l'occasion de se sacrifier pour D.ieu, alors que tous les efforts d'Avraham Avinou avaient pour but de faire connaître D.ieu dans le monde.
Je mets toutes mes forces physiques et spirituelles, poursuivit mon Père, et je mettrai encore plus de forces, pour faire de nos élèves, les Tmimim, des Yossef Hillel et des Chmouel 'Haïm, des juifs programmés pour le don de soi-même au profit d'autrui selon les enseignements du Baal Chem Tov. Et le Admour Hazaken, par son propre exemple de don de lui-même pour les enseignements de la 'Hassidout, les qualités 'hassidiques et les acquis des 'Hassidim, nous a ouvert le chemin pour un dévouement complet pour le bien du peuple juif. Je suis certain que les Yossef Hillel et les Chmouel 'Haïm qui sortiront de nos institutions seront des luminaires indiquant le chemin de la Torah et des Mitsvoth dans un monde obscur où ils rétabliront la lumière divine
Le Rabbi, Rabbi Chnéour Zalman, a assuré les 'Hassidim qu'en tous temps et tous lieux ils doivent réussir dans leurs entreprises spirituelles de Torah et de Avoda, et cette bénédiction se renforce d'époque en époque, de génération en génération, car le Rabbi et tous nos Saints Ancêtres n'ont de cesse de prier pour leur réussite. Je souhaite que les élèves Tmimim soient en tout les meilleurs puisqu'en eux doit se réaliser cette bénédiction de réussite dans le Service de D.ieu.
Mais l'outil de cette bénédiction, c'est le dévouement, et c'est le véritable chemin du 'Hassid de renoncer à son ego spirituel, au profit de son prochain en particulier et du bien du peuple juif en général. Et c'est ici que se situe le rôle éducatif des institutions Tomkhéi Tmimim, de faire des élèves des juifs entièrement voués au bien du peuple juif.
Quant le Rabbi Chnéour Zalman fut délivré de son emprisonnement à la forteresse Pétropavl, la nuit du 19 Kislev 5559, on lui demanda où souhaitait il être conduit. Il indiqua l'appartement de son élève, Reb Mordekhaï de Lieplié, qui avait un droit de séjour à Petersbourg. Dans la même maison habitait le chef de l'opposition aux 'Hassidim, Reb Néta Notkin. C'est chez lui que par erreur fut introduit Rabbi Chnéour Zalman. Une des questions que lui soumit son hôte était de savoir pourquoi les 'Hassidim s'étaient ainsi appelés 'Hassidim "dévots".
Le Rabbi lui répondit que ce n'est pas les 'Hassidim qui avaient pris d'eux mêmes ce nom, que les 'Hassidim quant à eux n'avaient rien demandé, et qu'ils croyaient entièrement en la Providence Divine, au sens des enseignements du Baal Chem Tov. C'est à travers leurs propres opposants que la Providence Divine leur avait attribué ce nom de "pieux". Leurs opposants auraient fort bien pu les affubler du nom de "mitnagdim" (opposants). Mais D.ieu avait fait que les opposants aient eux mêmes suffisamment de clairvoyance pour leur reconnaître ces qualités de piété et leur donner le titre véridique de "'Hassidim". Et eux mêmes s'étaient désignés comme "opposants" à cette vérité.
Les 'Hassidim méritèrent ce titre parce que la 'Hassidout enseigne que l'on doit se mettre de côté pour le bien d'autrui, comme c'est enseigné: "s'il les brûle, c'est un 'Hassid(14)". Quitte à se brûler, il doit brûler ses ongles plutôt que risquer de nuire à autrui. C'est pourquoi Rachi explique "un 'Hassid est préférable à un Tsaddik".
C'est donc à toi que je m'adresse, cher ami, à chacun d'entre vous en particulier, pour te demander de prêter attention à ce que nous venons de voir, de lire mot à mot et de t'attacher à chacun des sons sortis de la bouche de nos Saints Rabbis, et lorsqu'un enseignement t'est donné au nom de celui qui l'a révélé, tu dois le considérer comme présent devant toi et en train de s'adresser directement à toi.
Notre Maître le Admour Hazaken enseigne que un Rav et dirigeant du peuple juif, en plus de son devoir d'enseigner et de veiller à la stricte observance des lois de la Torah dans sa communauté, est directement responsable des mérites ou des fautes de ses ouailles: par une conduite inappropriée, il peut entraîner un laisser aller et les pires fautes, et par une conduite intègre et Ahavat Israël élever leur niveau spirituel.
Mon grand père, le Rabbi Chmouel enseigne que aussi grande que soit la Avoda personnelle qui arrive aux plus hauts niveaux de l'attachement à D.ieu, malgré tout, un travail dévoué consacré à son prochain, comme la Avoda de ces instituteurs qui se sacrifient pour ancrer chez leurs jeunes élèves les qualités de crainte de D.ieu, amour de la Torah et des Mitsvoth, amour de son prochain, ou encore de ces Rabbanim qui font tout pour conduire leurs fidèles sur les chemins justes, déraciner leurs défauts et faire fleurir les qualités du cœur, tout ceci est bien plus valorisé que les hautes sphères spirituelles que les premiers atteignent. Mon père, le Saint Rabbi, t'enseigne lui que la voie de la 'Hassidout et les usages des 'Hassidim sont de dévouer sa vie pour l'élévation spirituelle de ses compagnons juifs, selon l'exemple montré par notre père Avraham, qui fut en cela bien au dessus du niveau atteint par Rabbi Akiba dans son sacrifice pour D.ieu. Le Admour Hazaken a béni les 'Hassidim d'une réussite totale dans cette entreprise, (et nos ancêtres les Rebbiim ne cessent de prier pour que cette bénédiction soit réalisée et amplifiée jusque dans le domaine matériel), en étant certain que les Tmimim seraient les luminaires de la Sainte Torah dans tous les endroits, attelés à leur mission avec sacrifice, et qu'ils réussiraient à élever des générations d'élèves dans la crainte de D.ieu et les qualités de cœur, et qu'avec eux seraient bénis spirituellement et matériellement tous ceux qui les soutiennent.
Il résulte de ceci que outre l'enseignement, les directeurs de Yéchivah et les enseignants, chacun selon ses attributions, ont le devoir d'éduquer et de diriger leurs élèves dans la crainte de D.ieu, les qualités du cœur et un comportement convenable.
Leur devenir et leur vie dépendent de lui et de sa conduite personnelle: lorsque des enseignants s'affrontent ou se déconsidèrent, en plus de leur propre bassesse, ils font un mal considérable à leurs élèves. Lorsqu'ils se respectent mutuellement et ont un comportement pétri de bonnes qualités, les élèves les suivent et progressent avec eux.
Et je prie D.ieu pour qu'il ouvre leurs yeux et éclaire leur cœur, pour qu'ils s'adonnent à leur sainte tâche avec tout le dévouement qui convient et qu'il tourne Sa Face vers eux pour les bénir dans une complète réussite matérielle et spirituelle.
Tmimim! Rabbanim! Baaléi Batim! Directeurs de Yéchivah! Elèves de toutes les Yéchivot Tomkhéi Tmimim Loubavitch et A'héi Tmimim Loubavitch en tous pays! Au nom de notre Torah de Vérité, écoutez moi:
Répondez au souhait de nos Saints Maîtres! Soyez des Yossef Hillel et des Chmouel 'Haïm dans un travail de grand dévouement pour l'étude de la Torah avec crainte de D.ieu et dans l'esprit d'une éducation cachère! !! Votre ami qui ne souhaite que votre bien.
Yossef Its'hak
Extrait des Lettres de Rabbi Yossef Its'hak Volume 8, lettre 2588
Notes
1 - Ahavat Israël: l'amour de son prochain.
2 - Quatre parties du Choul'han Aroukh: le Code de Loi, Choul'han Aroukh, comporte quatre parties: Le Ora'h 'Haïm, lois de la liturgie, du Chabbat et des fêtes, Le Yoré Déah, avec notamment les lois de la cacherouth, de la pureté conjugale, Le Even Haezer, consacré à la législation du mariage Le 'Hochen Michpat, législation civile et lois du commerce.
3 - Guemara: le Talmud.
4 - Maskilim; "les Intellectuels" comme se nommaient eux mêmes les partisans de l'introduction de la "lumière" profane dans la pensée juive.
5 - Yé'hidout: entretien privé avec le Rabbi. Cet entretien avait demandé une longue préparation au 'Hassid, et l'issue de cet entrevue, les 'Hassidim avaient l'habitude de danser pour exprimer leur joie d'avoir rencontré le Rabbi en audience et bénéficié de ses conseils.
6 - Tikoun 'Hatsot: prières dites en pleine nit pour se lamenter sur la perte du Temple et la longueur de l'exil.
7 - Maskil: ici signifie la part de travail de l'esprit dans le service de D.ieu, souvent par opposition avec le "Oved" celui qui "sert" D.ieu par ses émotions et sentiments.
8 - Avoda: littéralement "travail", pour exprimer le travail sur soi (désigne parfois le "culte").
9 - Mélamed: enseignant.
10 - Baalei-Batim: "Maîtres de maison" pour désigner des juifs certes pieux ou érudits, mais qui ne sortent pas d'une routine bourgeoise.
11 - Semikha: ordination rabbinique.
12 - Deux millénaires d'étude de la Torah: Nos Sages enseignent: "durant les deux premiers millénaires de l'existence du monde, le monde était en proie au désordre. Vint Avraham, qui initia deux millénaires d'étude de la Torah." Les deux millénaires suivants, c'est … nous en exil.
13 - "Il entra en paix et sortit en paix": Parmi les compagnons de Rabbi Akiva, certains ne supportèrent pas d'accéder à la Connaissance divine. L'un en fit une overdose et son âme quitta le corps, l'un devint fou, l'un parjura. Seul Rabbi Akiva " sortit en paix".
14 - : "s'il les brûle, c'est un 'Hassid". Les ongles coupés sont déclarés nocifs et nuisibles pour celui qui marcherait dessus. Les Sages recommandent de s'en débarrasser, et notamment : "s'il les brûle, c'est un 'Hassid".
Une Ménorah … familiale
Appelons-le William. Il était simple soldat dans l’armée américaine qui libérait l’Europe à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Son régiment fut affecté à la garde d’un village dont il devait assurer la sécurité et où il fallait retrouver éventuellement d’anciens Nazis. Les soldats devaient également aider les habitants et les réfugiés dans leur vie quotidienne.
Un soir, William aperçut un adolescent qui courait dans un champ à la limite du village. " Arrête ou je tire! " cria-t-il. Le garçon se cacha derrière un arbre. Le soldat attendit patiemment.
Finalement, pensant que le soldat avait disparu, le garçon sortit de sa cachette et se rendit près d’un grand arbre au pied duquel il se mit à creuser. Le soldat l’observait de loin et, quand l’enfant eut fini et se fut remis en marche, le soldat cria à nouveau : "Arrête ou je tire!" L’adolescent courut; William décida de ne pas tirer mais plutôt de le poursuivre. Il le rattrapa et le plaqua au sol.
Dans le combat qui suivit, l’enfant lâcha une Ménorah magnifiquement décorée qu’il tenait jusque-là précieusement contre son cœur. William ramassa la Ménorah, l’enfant tenta de la récupérer : "rendez-la-moi, elle est à moi!"
Le soldat plongea son regard dans les yeux terrifiés du garçon et tenta de le rassurer : "Moi aussi je suis Juif!" dit-il.
L’enfant qui avait survécu aux camps d’extermination n’avait aucune confiance dans les hommes en uniforme. On l’avait déjà forcé à assister au meurtre de son père. Il n’avait aucune idée de ce qu’était devenue sa mère.
Dans les semaines qui suivirent, le soldat William s’occupa particulièrement du jeune garçon et celui-ci, David, apprit à lui faire confiance. Tous deux avaient de longues conversations ensemble et, quand William fut libéré de ses obligations militaires, il proposa à David de l’accompagner à New York où il l’adopterait.
David accepta et William s’occupa de tous les papiers.
William reprit ses activités au sein de la communauté juive de New York. Un de ses collègues, responsable du Musée Juif de la ville, vit la Ménorah. Il annonça à David que cet objet avait une très grande valeur puisque c’était une relique de l’art juif européen et que toute la communauté pourrait l’admirer: il offrit à David 50.000 dollars, mais l’adolescent refusa. La Ménorah avait été acquise plus de deux cents ans auparavant et était, depuis, restée dans la famille; aucune somme d’argent ne parviendrait à lui faire abandonner ce trésor. Quand ‘Hanouccah arriva, William et David allumèrent la Ménorah devant la fenêtre du salon. Puis David monta étudier dans sa chambre.
William savourait le silence paisible du salon quand on frappa à sa porte. C’était une femme qui parlait avec un fort accent allemand. Elle semblait désemparée, cherchait ses mots et commença par s’excuser de le déranger. Elle se promenait dans la rue quand elle avait aperçu la Ménorah à la fenêtre.
"Nous avions dans le temps une Ménorah semblable dans notre famille" dit-elle dans un anglais hésitant. Elle n’en avait jamais vu un autre exemplaire. Pouvait-elle entrer et la voir de plus près?
William la fit entrer et lui dit que la Ménorah appartenait à son fils adoptif qui pourrait peut-être lui en apprendre davantage à ce sujet. Il appela William pour qu’il explique à cette femme d’où venait la Ménorah.
- * *
Devant l’antique Ménorah où brillaient les lumières de ‘Hanouccah, David retrouva sa mère…
Traduit par Feiga Lubecki
Publier le miracle, pas autre chose
Hannoucah 5753.
Bat Yam. Ronen Choval est en pleine "campagne" de Hannoucah. Entendez qu'il parcourt son quartier, comme tous les ans, pour veiller à faire allumer les bougies de Hannoucah par les Juifs qu'il rencontre, distribuer des prospectus sur le sujet de la fête et sur les sujets de la vie juive en général. Un des objectifs est l'allumage dans le Centre Commercial de Bat Yam, le Bat Yamon, afin de donner au miracle passé de Hannoucah toute la publicité que l'allumage des bougies doit procurer.
Ronen pousse la porte du premier magasin qu'il s'est fixé comme objectif.
"Le Village du jouet". Le directeur a déjà allumé les bougies ce soir là, mais l'autorise à déposer une Hannoukiah à l'entrée du magasin, qu'un employé sera heureux d'allumer, et il appelle pour cela employés et clients à se rassembler pour l'événement. Laissons Ronen nous raconter la suite des choses.
Après l'allumage, j'ai distribué à tous quelques documents sur Hannoucah, j'ai répondu aux quelques questions qui se posaient, incité tous à poursuivre la fête chez eux avec femmes et enfants jusqu'au huitième soir. Un événement réussi.
Un moment de quitter la boutique, Yéhoudah, le patron s'est approché de moi.
- Est il permis de vendre des sapins…?
En ce début décembre, la question était claire. Un juif se posait des questions sur l'opportunité commerciale de vendre des sapins, symbole phare d'une fête totalement étrangère –pour ne pas dire plus– à nos croyances.
- Non! Tu n'as pas le droit de vendre de telles choses. L'allumage de Hannoucah est la publication du miracle, et vendre aux yeux de tous une telle chose est la "publication d'une transgression". Yéhoudah tenta de m'expliquer qu'il ne s'agit pas de les vendre à des juifs, mais aux très nombreux clients non juifs qui se trouvent désormais en Terre d'Israël, d'autant que la crise économique actuelle incite à ne négliger aucune source de profits …
Je lui répondis qu'au contraire, la présence de tels clients était l'occasion de répandre parmi eux la notion des "sept lois de Noa'h", et non de leur procurer des symboles religieux contraires à ces lois mêmes. Yéhoudah ne demandait qu'à être convaincu. Il accepta de ne pas faire rentrer une telle marchandise dans son magasin.
C'était justement le lendemain qu'une réunion de tous les directeurs d'enseignes de la chaîne devait faire le bilan du mois écoulé et fixer les objectifs et moyens pour le mois à venir.
Il était particulièrement content de mon conseil et tint à m'accompagner dans chacun des magasins du centre commercial pour me présenter à ses amis les autres patrons. Inutile de dire qu'avec un tel guide, tous les magasins acceptèrent les allumages et notre passage fut un réel succès.
Quelques jours plus tard, j'étais de nouveau au Centre Commercial. Yéhoudah m'accueillit avec un grand sourire.
- "Un miracle de Hannoucah! Un vrai miracle. Tu ne peux pas imaginer ce que tu as déclenché. Lors de la réunion au siège de la chaîne, on m'a demandé combien de sapins j'allais prendre, et j'ai surpris tout le monde en disant que je n'en prenais pas car c'est interdit. J'ai influencé d'autres directeurs de magasin qui ont accepté mon argumentation, et le service des commandes a accepté sans broncher.
Mais il y a plus. Chaque fois, ces réunions sont l'occasion de disputes sans fin sur la tenue des comptes, le respect des objectifs, avec insultes, menaces et parfois plus. C'est la première fois que je ressors de là avec le sourire. Ils ont même trouvé que j'étais excédentaire…. Tout ceci par le mérite de cette décision de ne pas vendre des arbres…"
Je lui ai expliqué alors que le mérite revenait aussi et surtout au Rabbi de Loubavitch qui m'avait envoyé ici, comme il envoie des milliers de ses disciples à travers le monde pour guider les Enfants d'Israël à devenir de meilleurs juifs dans leur quotidien. Je suis retourné il y a peu de temps au " Le Village du jouet" pour quelques achats. Il fut très content de me voir.
- "Ecoute la suite!"
Yéhoudah m'a alors raconté avec excitation que non seulement il n'avait rien perdu , mais il avait gagné gros avec sa bonne décision.
- "Lorsque des magasins de la chaîne se sont mis à vendre des sapins, cela a mécontenté une grande partie de la clientèle orthodoxe, qui a déserté ces magasins. Et très vite le bruit s'est répandu que chez moi, il n'y en avait pas. J'ai drainé toute la clientèle religieuse des environs et nous avons enregistré des records de vente inespérés! Tout ceci grâce à toi!"
Et je lui ai à nouveau expliqué que tout le mérite revenait à celui qui m'avait envoyé, le Rabbi de Loubavitch.
Traduit de "Si'hat Hagueoula" N° 429, Chevat 5763.
La Ménorah du Rabbi
Notre histoire se passe dans les années 10. Comprendre 5710, ou années "50" en termes plus courants.
A cette époque, les élèves de la Yéchivah Tomkhei Temimim, à Tel Aviv, n'avaient pas encore l'habitude de courir les rues et les cages d'escalier les soirs de Hannoucah pour faire allumer leurs frères juifs. Et naturellement, à l'heure de l'allumage, ils allaient allumer les bougies dans leur chambre, ou faire l'école buissonnière pour assister à l'allumage d'un des Rabbis des cours 'Hassidiques de Tel Aviv de l'époque: le Rabbi de Belz, le Rabbi de Hossiatin, le Rabbi de Sadigura et encore bien d'autres.
Et chacun de raconter à son retour avec curiosité les particularités de chacun.
L'un raconta qu'il avait vu tel Rabbi allumer une Ménorah en or, l'autre une Ménorah d'argent, l'autre en cuivre …
Les élèves étaient tellement pris à écouter les différents récits, qu'ils ne prirent pas garde que Reb Haïm Chaoul Brooke, le principal de la Yéchivah, se tentait derrière eux et écoutait leurs histoires en souriant. Lorsqu'ils s'en aperçurent, ils se sentirent gênés de parler de telles choses au lieu de s'approfondir dans des livres, et plus encore gênés de son sourire inattendu.
"Notre Rabbi, je l'ai vu allumer une Ménorah en or, mais aussi une Ménorah d'argent, une Ménorah de cuivre, une Ménorah en fer blanc, et même en bois ou en glaise…"
Les élèves n'en revenaient pas. Que signifiait ces mots d'un homme qui n'avait pas l'habitude de blaguer?
"Notre Rabbi allume la lumière, la lumière divine qu'est l'âme humaine, dans des Ménorot de toutes sortes. Il y a des Juifs qui sont du niveau d'une Ménorah en or. D'autres sont du niveau d'une Ménorah d'argent, d'autres en cuivre, d'autres en fer blanc, en bois, en glaise…
Chacun de ceux là, le Rabbi peut les allumer, y faire briller la lumière de la Vérité, de la Divinité, la lumière du judaïsme et de la 'Hassidouth, la lumière de Machia'h …
Traduit de Beth Machia'h N° 493, Chevat 5766.
Deux 'Hanoukiot d'argent
'Haïm mit son chandelier d'argent sur le rebord de la fenêtre dans sa maison de Magdiel; il versa l'huile, arrangea les mèches; avec l'intonation typique du Yémen il chanta avec hésitation les bénédictions et alluma les mèches.
Puis il s'assit, regarda les flammes et laissa ses souvenirs affluer... Oui, c'était le moment de s'arrêter un peu, de faire le point, de se souvenir de tous les événements de sa vie.
Il se rappelait de son père son maître, un des notables de la communauté juive de Sanaa au Yémen; de sa mère, une femme discrète et généreuse; et de son frère Saïd, plus jeune que lui d'un an: où pouvait-il se trouver maintenant?
Sans qu'il s'en rende compte, des larmes coulaient sur ses joues...
Yossef l'orfèvre avait deux fils: Ye'hia et Saïd. Leurs visages purs étaient entourés de joyeuses "Péot" et leur jeunesse se passait dans l'insouciance. Tôt le matin, il les amenait chez "le Sage", 'Ha'ham Yaakov chez qui les garçons juifs du quartier, assis en tailleur sur le tapis, apprenaient la Torah. Le soir, quand le père revenait de son travail, il les amenait à la Synagogue "Tsala'h" où ils participaient à la prière du soir et aux cours de Michna, Guemara, Zohar et Midrach. Ce n'était que tard dans la nuit qu'ils rentraient, accueillis par un bon repas préparé par leur mère.
Mais la vie tranquille des Juifs du Yémen ne devait pas durer longtemps. Un nouveau roi se leva, convoqua les responsables de la communauté juive et leur dit:
"Tant que je serai là, vous n'avez rien à craindre. Mais s'il devait y avoir une révolution, je ne pourrai me porter garant de votre sécurité. C'est pourquoi je permets à tout Juif qui le voudrait de quitter le pays".
C'est à cette époque que le nouvel état d'Israël s'intéressa au sort des Juifs du Yémen. On envoya des émissaires, chargés d'organiser le départ de tous ceux qui voudraient émigrer. Comme on savait qu'ils étaient tous très religieux, les émissaires prirent soin de ne pas choquer leurs us et coutumes.
Ils décrivaient avec passion le "pays où coulent le lait et le miel" et organisèrent des départs "sur les ailes des aigles" c'est-à-dire dans des avions spécialement affrétés. Ces Juifs dont le coeur pur battait plus fort dès qu'on leur parlait de la Terre Sainte, se préparèrent fébrilement pour le voyage.
Yossef l'orfèvre désirait également se joindre à ce voyage. Cependant, son commerce ne pouvait être liquidé rapidement. Il lui fallait du temps. Mais le pays n'était plus un havre de sécurité, il valait mieux envoyer les enfants en Terre Sainte. Le départ fut déchirant, la mère ne pouvait contenir ses larmes.
Le père, enlaçant ses deux fils, leur remit à chacun une 'Hanoukia en argent qu'il avait lui-même ciselée et les bénit en tremblant d'émotion. L'avion décolla, l'opération "Tapis Volant" avait réussi.
A leur arrivée, les nouveaux immigrants furent accueillis à Atlit. Au début, tout leur semblait merveilleux. Mais bien vite, des jeunes gens qui visiblement ne menaient pas une vie régie par les lois de la Torah, s'installèrent dans le camp pour installer un ordre nouveau.
Ils entreprirent de séparer les familles. Les deux frères n'échappèrent pas à la règle. On persuada Saïd de s'installer dans un Kibboutz où il pourrait mieux poursuivre ses études.
Pétrifié, il se tenait à l'entrée de la salle à manger; avec sa Kipa et ses longues Péot, il voyait pour la première fois des jeunes, "libérés", qui parlaient fort et se conduisaient sans gêne. Il voulut retourner dans le camp où était resté son frère, mais c'était impossible. Bien vite, on s'occupa de lui enlever "ses vêtements d'exil", on lui donna un autre prénom, Lirone, on lui coupa les Péot.
Il ne savait pas que non loin de là, la même transformation arrivait à son frère qu'on appela dorénavant 'Haïm: les deux frères ne devaient plus se revoir, n'ayant plus de nouvelles l'un de l'autre.
Plus de vingt-quatre ans passèrent. Dans un des camps militaires, après la guerre de Kippour, 'Haïm se préparait pour la fête de 'Hanouccah. Il s'était marié, avait quatre enfants; dans son foyer, la religion avait peu de place, mais chaque année il avait respecté les lois de l'allumage des lumières de 'Hanouccah et enseigné à ses enfants les chants traditionnels qu'il avait appris au Yémen.
Maintenant, au sein du régiment 83, au coeur du désert du Sinaï, il allumait les petites lumières en pensant à sa femme, ses enfants, ses parents restés à Sanaa, ses compagnons d'étude... Cela faisait déjà trois mois qu'il était mobilisé dans la chaleur écrasante du désert où les nuits étaient si froides, à dormir dans un sac de couchage, sans confort.
'Haïm décida de sortir un peu dans le camp, prendre un peu d'air, mettre de l’ordre dans ses pensées. Les étoiles brillaient dans le ciel... De l'une des tentes, on entendait des voix. Des lumières de 'Hanouccah semblaient allumées. 'Haïm, curieux, s'approcha et entra dans la tente. Il regarda les petites lumières et soudain il fut frappé de stupeur: la 'Hanoukia qui les portait était exactement semblable à la sienne! Incrédule, il vérifia tous les détails de l'objet et demanda d'une voix étranglée: "A qui appartient cette 'Hanoukia"?
"A Lirone", répondit un des officiers, très occupé à jouer aux cartes.
"Qui est Lirone"? demanda 'Haïm, étonné.
Lirone se leva. 'Haïm le regarda bien, cherchant à retrouver un visage connu.
"Pourquoi m'avez-vous appelé"? dit Lirone, contrarié d'avoir été dérangé dans ses occupations habituelles. Le coeur de 'Haïm battait à tout rompre. Il avait reconnu la voix, le faible accent Yéménite dont il se souvenait si bien de la maison de son père.
"Saïd"! murmura-t-il.
Un frisson s'empara de Lirone-Saïd. Des vagues de froid et de fièvre le traversèrent.
"Yi'hia, mon grand frère"! dit-il sans oser y croire.
Un silence de mort se fit dans la tente alors que les deux frères s'embrassaient, pleurant de joie après ces vingt quatre années de séparation.
Il n'y a pas de mots pour décrire les sentiments de Saïd et Yi'hia à ce moment-là. Toutes les semaines qui suivirent, ils ne se quittèrent pas, tentant de rattraper le temps perdu. Tous deux essayèrent de retrouver une trace de leurs parents mais en vain.
Ils décidèrent cependant de redevenir dignes de la tradition qu'ils leur avaient transmise; tous deux se rapprochèrent ensemble, avec leurs familles, d'un mode de vie guidé par la Torah.
Et chaque année, ils allument ensemble leurs lumières dans les magnifiques 'Hanoukiot
d'argent qui les avaient enfin réunis.
Mena'hem Ziegelbaum
Traduit par Feiga Lubecki
La 'Hannoukiah disparue
Dans la maison de Rabbi 'Haïm de Tsanz, on était habitué à ces disparitions soudaines d'objets divers. Le Tsaddik avait effectivement l'habitude de ne garder aucun argent "de trop" à la maison tant qu'une demande d'aide n'avait pas été satisfaite. Et ces demandes étaient légion …
Qu'il s'agisse d'argent ou d'objets de valeurs, Rabbi 'Haïm ne faisait pas de différence. Lorsque la Rabbanith s'apercevait que tel ou tel objet avait disparu de la maison, elle comprenait que son saint mari l'avait gagé pour les besoins d'un foyer ruiné ou d'une jeune fille à marier, ou toute autre cause.
Elle ne posait plus de question sur la timbale d'argent, la boîte à tabac, le vase, les bougeoirs …
On était à quelques semaines de 'Hannoucah. Vint frapper à la porte un homme d'allure chétive dont l'allure comme le discours attestait qu'il avait été autrefois un homme respecté et écouté. Il sortit même de son baluchon un long parchemin qui témoignait génération après génération de sa belle ascendance.
Lorsqu'il eut terminé de se présenter, il éclata en sanglots. Il conta sa misère actuelle, ses dettes, sa fille en âge de se marier et qui n'attende de secours de personne …
Rabbi 'Haïm écoutait son hôte avec compassion. "L'aide divine peut venir en un instant, il ne faut pas désespérer". Tout en consolant son invité, il cherchait du regard la source de cette aide qu'il était prêt à lui accorder. Il se leva, parcourut les diverses cachettes où il pouvait avoir mis de l'argent de côté "pour les cas exceptionnels".
A vrai dire, ces cas exceptionnels quotidiens avaient déjà épuisé toutes ses réserves, et les étagères des armoires étaient également vides: tout se trouvait déjà gagé chez des prêteurs.
Le cœur de Rabbi 'Haïm se serra à l'idée que cet homme allait s'en retourner chez lui les mains vides. Encore un peu ce sera 'Hannoucah. Une fête de joie et de lumière. Quelle joie y aura-t-il dans la maison de ce malheureux?
'Hannoucah, 'Hannoucah se répéta-t-il. Un large sourire se répandit sur ses lèvres. Il sauta de sa chaise, l'approcha de la grande armoire de son bureau, et grimpa dessus pour tirer de l'étagère supérieure une superbe 'Hannoukiah en argent. Il la prit dans ses mains avec amour, en essuya les poussières accumulées depuis l'an dernier, puis l'enveloppa dans un papier sorti d'on ne sait où.
Le pauvre homme suivait le Rabbi des yeux, d'abord avec étonnement puis avec un brin d'espoir qui devint un sourire et un remerciement silencieux lorsque Rabbi 'Haïm lui mit l'objet dans les mains.
C'est une semaine avant 'Hannoucah que la Rabbanith découvrit la disparition de la 'Hannoukiah. Elle ne poussa pas de grands cris comme une autre maîtresse de maison l'aurait fait. Elle savait que ce n'était pas un voleur qui avait dérobé la 'Hannoukiah. Son seul souci fut que dans toutes les maisons juives on allumerait ce soir là des bougies dans une belle 'Hannoukiah, et que dans la maison du Rabbi il n'y aurait pas de 'Hannoukiah.
La veille de la fête elle rappela à Rabbi 'Haïm qu'il n'y avait pas de 'Hannoukiah dans la maison. Un sourire tranquille fut la seule réaction de Rabbi 'Haïm.
Le premier soir de 'Hannoucah arriva. Les fidèles quittaient la synagogue d'un pas pressé pour allumer la première bougie les uns à la fenêtre de leur maison, les autres sur le pas de la porte. La rue juive s'illumina. Une seule maison semblait avoir oublié la fête. Ni 'Hannoucah, ni 'Hannoukiah chez Rabbi 'Haïm.
Le Tsaddik était enfermé dans son bureau, entièrement pris dans son étude de la Torah et des secrets de la fête. Les enfants et les familiers du Rabbi attendaient, tendus, évitant le regard du Rabbi pour ne pas afficher leur tristesse. La porte du Rabbi s'ouvrit enfin. Rabbi 'Haïm sortit avec sérénité de son bureau, comme préparé à allumer des bougies pour lesquelles rien n'était prêt.
C'est à ce moment là qu'on entendit le grincement des roues d'un carrosse qui s'arrêtait devant la maison du Rabbi. Un splendide carrosse tiré par plusieurs chevaux venait d'arriver, dont descendit un couple somptueusement vêtu. Le mari, qui tenait un paquet à la main, s'excusa de l'heure tardive et demanda à rencontrer Rabbi 'Haïm Leur visage préoccupé en disait long sur l'urgence qu'ils éprouvaient à rencontrer le Rabbi.
Rabbi 'Haïm les fit entrer dans son bureau pour écouter leur demande, et les bénit longuement. A la fin de l'entretien, l'homme déposa son paquet sur la table et l'ouvrit délicatement. "C'est un présent de notre part pour le Rabbi" dit il en sortant une merveilleuse 'Hannoukiah en argent du paquet.
Rabbi 'Haïm ne fut pas étonné outre mesure. Il posa la 'Hannoukiah à son emplacement usuel, versa de l'huile, disposa les mèches. Après avoir allumé le Chamach, il récita les bénédictions devant ses enfants, ses proches et le couple d'invités.
Baroukh Ata … acher kidechanou bemitsvotav vetsivanou lehadlik ner 'hannoucah.
Baroukh …ché-assa nissim la-avoténou bayamim hahem bizman hazé.
Baroukh … chee’heyanou vekiyemanou vehiguianou lizmane hazé.
Tous ressentirent que ces bénédictions sur le miracle de 'Hannoucah prenaient un sens particulier ce soir là.
Réalisé par Aharon - www.milah.info
Une Ménorah Céleste
Annette Baslaw Finger aime à raconter un 'Hannoucah mémorable. Elle avait 11 ans. Elle fuyait alors les nazis dans la France occupée, et était arrivée avec ses parents dans les montagnes de Pyrénées, d'où ils pourraient passer à pied la frontière vers l'Espagne ou le Portugal.
"De nourriture, point, ou presque. Il nous restait bien une carotte, une seule carotte pour seule richesse.
J'étais bien triste de voir arriver 'Hannoucah avec ce seul luxe. Si j'avais su le sort réservé aux autres familles et enfants juifs, je me serais certainement estimée la mieux lotie. Tout de que je savais c'est que nous étions devenus des gitans, constamment en déplacement, sans aucun havre ni sécurité. Nos vêtements étaient en haillons et sales, nous ne pouvions nous laver à l'eau chaude, nous asseoir à une table, bavarder de tout et de rien, bref, mener une vie normale.
Ce soir là, nous étions dans une grange, couché sur la paille. Je ressentais vraiment un manque, et je fis remarquer à mon père que c'était 'Hannoucah et que nous n'avions pas de Ménorah à allumer.
"Que dis tu? Nous n'avons pas de Ménorah de 'Hannoucah à allumer? Mais nous avons la plus belle 'Hannoukiah du monde!" Il s'approcha de la porte, l'entrouvrit, et me désigna du doigt … le ciel. C'était une belle nuit, sans nuage, où toutes les étoiles s'étaient données rendez vous au-dessus de nos têtes.
"Attrape le Chamach". J'attrapai la plus brillante des étoiles et décidai d'en faire le Chamach.
"Bien. Maintenant attrape encore huit bougies". Nous attrapâmes ainsi huit autres belles bougies, et c'est ainsi que nous pûmes allumer notre Ménorah dans le ciel.
C'était extraordinaire. Des bougies si près du ciel, si près de D.ieu! Nous revînmes nous asseoir sur la paille, pour jouer à la toupie. Une toupie imaginaire, bien sûr. Nous la faisions tourner, avant d'annoncer la lettre sur laquelle elle s'était arrêtée. Sans surprise, c'est moi qui ai gagné. Pompeusement, mon père m'offrit le gros lot: la carotte. Cette carotte qui était tout à l'heure le symbole de notre misère, de nos privations devenait ainsi mon inestimable cadeau de 'Hannoucah.
Dans ma grande bonté, j'offris à chacun un morceau de ma carotte, et nous passâmes le reste de la soirée à chanter des chants de 'Hannoucah, des chants du bonheur d'être juif.
C'est resté mon plus beau 'Hannoucah.
OHR SOMAYACH'S ASK THE RABBI
www.ohr.edu
N° 332 December 22, 2001 / 7 Tevet 5762 Parshiot Vayigash-Vayechi
Réalisé par Aharon - www.milah.info
Hannoucah avec le Rebbe de Slonim
5691 (1941). C'est l'hiver à Baranovits. Dans la Yéchivah Ohel Torah du Rav El'hanan Wasserman. Mon compagnon d'études, Né'hamiah Byalistocker me demande à brûle pourpoint: "as-tu déjà assisté à l'allumage des bougies de 'Hannoucah chez le Rabbi de Slonim?".
Drôle de question pour un jeune homme né dans un milieu "mitnaged" opposé à la 'Hassidouth. D'ailleurs sans attendre ma réponse, il enchaîne "viens avec moi ce soir au "chtibele" ("petite salle", dans le sens de petite synagogue) des 'Hassidim de Slonim, et tu verras ce que tu verras".
Baranovits était déjà recouverte de neige cet hiver, depuis les premiers jours du mois de Kislev. Les maisons, les rues et les champs étaient recouverts d'un long manteau blanc.
La rue principale, la rue Minsk, la rue des synagogues, est peine d'ombres qui se hâtent vers les diverses synagogues. Les uns vers la grande synagogue, les autres vers la synagogue "Potchva". Tous se pressent pour montrer aux enfants l'allumage public à la synagogue et les mêler à "pirsouméi nissa", manifestation publique du miracle de 'Hannoucah.
Les 'Hassidim de Slonim se pressent à l'intérieur du "chtibele". Ambiance festive, mais certains ont gardé leurs vêtements de semaine, et d'autres portent de vieux caftans usés. Chez "Slonim", c'est à 'Hannoucah que l'on "vient", c'est à dire que l'on se rend chez le Rabbi, pour assister à l'allumage de la Ménorah par le Rabbi.
Comment vous décrire les difficultés que j'ai eu à escalader un banc et à y rester debout sur la pointe des pieds, agrippé aux épaules de mon voisin de devant et coincé par celui de derrière, dans l'espoir d'arriver à voir par-dessus les centaines de têtes dressées.
La porte de la chambre du Rabbi s'ouvre. Rabbi Avraham'le s'avance, coiffé de son large chapeau plat, drapé dans son large caftan des jours de semaine. Sa démarche, son aspect, sa physionomie resplendit de joie et de splendeur. Le silence s'est fait dans le "chtibele", et tout mouvement a cessé.
J'ose à peine respirer, de peur de pousser mon voisin et détruire le fragile équilibre qui s'est établi sur le banc d'où j'aperçois le Rabbi s'avancer. Derrière lui marchent les vieux 'Hassidim, parmi les quels Reb Israël Zalman, un vénérable vieillard à la longue barbe blanche, qui a connu le grand-père de Rabbi Avraham'le.
Le Rabbi se tourne vers lui. "Qu'en dis-tu, est-il temps d'allumer les bougies?" Les mouvements de la barbe de Reb Israël Zalman nous indiquent de loin que le temps est arrivé.
Une voix tremblotante rompt le silence.
"Oïe, Baroukh ata … oïe Béni sois Tu oïe … Qui nous a sanctifiés par Ses commandements et nous a ordonné … oïe d'allumer les bougies de 'Hannoucah"
"Amen" répond l'assemblée comme un éclat de tonnerre. Un silence tendu revient. Tous observent avec attention chacun des mouvements du Rebbe.
"Oïe, Baroukh ata … Qui a fait des miracles …oïe à nos ancêtres en ces temps là. Oïe … qui nous a fait arriver … oïe… jusqu'à ces jours ci".
Le Rabbi se penche pour allumer la première bougie de 'Hannoucah. Tous attendent la suite.
"Oïe, Tate Zisser, notre doux Père, aie pitié de nous."
Je penche la tête pour mieux dévisager le Rebbe. Le regard tourné vers le ciel, les yeux fermés, le visage en feu, le cou tendu comme s'il avait grandi, sa barbe en pointe dirigée vers le haut, il semble dialoguer avec un interlocuteur invisible, loin de l'assemblée réunie autour de lui.
Mon ami se tient à quelques épaules de moi. Un natif de Byalistock, "opposant" de naissance, d'éducation, et de toute sa fibre. Un gars mesuré, pondéré, assidu, doué pour l'étude, craignant D.ieu et d'une sensibilité particulièrement développée. Je l'ai senti trembler dès que le Rebbe a commencé les bénédictions. Je risque un regard vers lui. Il pleure. Puis je l'entends répéter à voix basse, avec le Rebbe "Oïe, Tate Zisser, notre doux Père, aie pitié de nous."
Je suis au comble de l'émotion. Je me mets à parcourir du regard ces Juifs 'Hassidim attachés au moindre mot de leur Rabbi.
Reb Zeidel, qui passe toute sa semaine à chercher la subsistance de sa grande famille, un pauvre dans le monde matériel et d'une si grande richesse spirituelle. Tous les vendredi après midi, on le rencontre dans les ruelles de Baranovits, incitant les commerçants à se hâter de fermer boutique pour se préparer au saint Chabbath. Combien d'histoires peut il encore nous raconter, comme celle de Reb Moché Midner, qui nous a quittés il y a peu, et pour lequel le Rebbe a tenu à assister à l'enterrement. Le Rabbi n'avait dit que deux mots d'éloge funèbre. "Ydden, weint … juifs, pleurez!". Tous avaient éclaté en sanglots. Et voilà maintenant notre Reb Zeidel dansant d'un pied sur l'autre, murmurant les mots du Maoz Tsour, entrecoupés de "Oïe, Tate Zisser"…
L'assemblée commence à chanter "Psaume pour l'inauguration du Temple" (Psaume 30). Ce n'est pas un chant usuel chez les 'Hassidim de Slonim. Je me sens participer à un événement extraordinaire, mystérieux. L'inauguration de l'Autel du Temple. La mélodie incite à l'attachement à D.ieu, à l'intériorisation.
Elle prend chaque partie du corps, la broie, la nettoie, la remet en place. Les voix vont en montant, enchaînent une mélodie sur l'autre, avec à chaque fois plus de douceur, plus de profondeur. Près de la porte, sur la grande Ménorah d'argent, la petite flamme s'agite.
Nous savons tous que le Rabbi a allumé une grande flamme dans le cœur de chacun des assistants, dont la lumière a illuminé chacun d'entre nous, même s'il n'est venu que par curiosité. Ces lumières de 'Hannoucah se sont incrustées profondément dans notre âme, et y répandent un éclat singulier. Un éclat 'hassidique qui a rapproché chacun de nous de son Créateur.
Traduit de Si'hat Hachavoua
N° 830, 24 Kislev 5763
La bataille d'Angleterre
Notre école juive avait été évacuée à Prestwich, dans la banlieue de Manchester. Les salles de classe étaient situées dans le Beth Hamidrach à côté de la synagogue. Celle-ci était plus moderne, son toit était plat. L'abri antiaérien se trouvait dans le sous-sol du Beth Hamidrach, on y accédait par un escalier depuis les salles de classe.
C'était la cinquième nuit de Hanouccah. Les bougies étaient déjà préparées quand nous avons entendu le hurlement de la sirène. Quel que soit le surnom qu'on lui donnait, son effet était le même: nous devions nous réfugier dans l'abri au plus vite.
Nous entendions déjà "la musique", le "zoom-zoom" des avions allemands qui larguaient des bombes tandis que "nos" avions tentaient de les attaquer. Certains d'entre nous se prenaient pour des experts qui savaient reconnaître lesquels étaient les nôtres, les autres se persuadaient que c'était certainement les nôtres qui survolaient la ville pour la défendre.
Nous avions appris par cœur les règles élémentaires de précautions antiaériennes, nous testions nos connaissances avec les questionnaires diffusés sur les ondes de la B.B.C. et nous aidions les adultes à préparer des bassines d'eau, des tuyaux, des pompes, de longues pelles, des sacs de sable, des échelles etc... Une fois que nous fûmes arrivés dans l'abri, notre professeur fit l'appel pour être sûr que nous étions tous là. Les bruits extérieurs étaient maintenant assourdis, nous étions sauvés; nous avons chanté les airs traditionnels de Hanouccah. C'est à ce moment que le professeur s'est souvenu qu'il avait oublié les bougies à la synagogue.
Que faire? Je décidai que je n'accepterai pas cette situation et que, coûte que coûte, je procurerai des bougies pour notre groupe: il suffisait de ressortir, de se glisser vers la synagogue et de revenir. Bien sûr, le professeur ne me laisserait pas prendre ce risque insensé, il valait donc mieux ne pas lui demander la permission. Je me contentai donc d'informer discrètement mon ami Chaoul que je m'absenterai quelques minutes...
Je demandai au professeur de m'excuser un instant et, une fois dans le couloir, j'ouvris la porte pour voir ce qui se passait. Apparemment tout était calme, je n'avais que quelques pas à faire dans le jardin pour atteindre la synagogue. En un clin d'œil, j'y étais. Effectivement, la Menorah d'argent était posée sur la table. Les bougies et les allumettes étaient légères mais la Menorah était assez lourde.
Tout cela ne m'avait pris que quelques secondes mais quand j'ouvris la porte, le spectacle était bien différent: des explosions assourdissantes tout autour, d'aveuglants éclairs...
Mon premier réflexe fut de refermer la porte tant mon cœur battait à tout rompre. Mais je savais que ce n'était pas la bonne solution; qu'aurait fait Yéhouda Hamaccabi à ma place? Il ne se serait pas laissé impressionner par ces bombes, donc je pouvais sûrement en faire autant. Je réouvris la porte et me précipitai à l'extérieur.
C'est à ce moment-là que j'aperçus une bombe qui tomba du ciel et se posa exactement sur le toit plat de la synagogue. Je savais qu'il y avait un gardien quelque part, mais avec tout le bruit autour, il ne servait à rien de l'appeler. Pourquoi ne pas m'en occuper moi-même?
Des échelles étaient posées contre le mur pour arriver au toit et je savais où se trouvaient les bassines d'eau et les pompes, toujours prêtes au cas où... C'était l'occasion rêvée de montrer aux adultes que nous, les jeunes, nous savions comment réagir en cas de danger.
Je posai la Menorah et les bougies et montai les marches quatre à quatre. La bombe était là, non loin de la pompe. Je vidai avec précautions la bassine tout autour de la bombe. A la faveur d'un éclair, je vis le gardien à l'autre bout du toit, tentant lui aussi de neutraliser des bombes.
Craignant qu'il ne m'aperçoive et ne me gronde, je me dépêchai de redescendre, me cassant presque une jambe en manquant un échelon. Heureusement que mes bonnes notes en gym étaient méritées, ou peut-être que mon ange gardien m'avait été envoyé par le Tout Puissant qui s'occupe avec indulgence des inconscients comme moi... Grâce à de nouveaux éclairs, je retrouvai la Menorah et les bougies et regagnai en courant l'abri.
J'ouvris la porte si violemment que je faillis renverser le professeur qui, s'étant aperçu de mon absence, s'apprêtait à venir me chercher. Je ne lui laissai pas le temps de me gronder: je posai la Menorah et lui tendis les bougies et les allumettes.
Ce soir-là nous avons réalisé que la bénédiction de "Al Hanissim", "pour les miracles" était plus actuelle que jamais, nous avions vraiment échappé à un grand danger grâce à ces bougies de Hanouccah.
Mes compagnons du Héder firent cercle autour de moi et voulurent entendre chaque détail de mon exploit. Le professeur fit semblant de m'en vouloir d'avoir risqué ma vie en sortant de l'abri en plein "Blitz" mais, à en juger par ses clins d'œil, j'étais sûr qu'au fond de lui, comme mes camarades, il me surnommait déjà Yéhouda Hamaccabi...
Nissan Mindel
Traduit par Feiga Lubecki
Réalisé par Aharon - www.milah.info
Mon miracle de 'Hannoucah
Chochana Egozi de Guivat Savion raconte.
Hannoucah 5704 (1943).
Je suis avec une trentaine de jeunes filles juives, retournant vers notre baraquement dans le camp de travail forcé de Brandsdorf, en Slovaquie. Toute la journée, nous avons travaillé dans une usine de textile qui fournit l'armée allemande, et nous en revenons ce soir exténuées, sous une tempête de neige, sous la surveillance de soldats allemands.
Chacune d'entre nous est enfoncée dans ses pensées, ses souvenirs. J'ai 17 ans, et ce soir je pense surtout à Hannoucah. Aux Hannoucah de mon enfance, à Kalze en Pologne. Je me revois entourée de mes six frères et sœurs, aux côtés de notre père, le Rav Yé'hiel Aharon Sprinfeld, Rav et Cho'het apprécié de tous. Il y a six mois, les Allemands l'avaient attrapé dans la rue, et lui avaient coupé la barbe sur la moitié de son visage.
Je le revois encore rentrer à la maison, le regard terrible, les yeux éteints.
Je revois ensuite mon plus jeune frère Avraham, élève doué à la Yéchivah 'Hakhméi Lublin. Un bel enfant. Un jour ces bêtes sauvages nazies l'ont tiré de la synagogue où il priait avec mon père, et l'ont tué devant lui
Pour la simple raison "qu'un enfant si beau n'a rien à faire chez les juifs".
Je ne sais pas ce soir là qu'un sort identique a été réservé à ma mère, mes autres frères, 'Haïm, Yossi, Moïchelé, et ma sœur Feigele, dans l'enfer d'Auschwitz. Mon père fut assassiné quelques mois avant la fin de la guerre.
Deux petits coups sur la fenêtre me tirent de mes pensées. C'est Hans, un gamin du voisinage qui se glisse régulièrement dans le camp pour nous apporter furtivement quelques bonnes attentions: du pain un fruit… Nous nos sommes demandées à plusieurs reprises si ce bonhomme n'a pas du sang juif pour prendre de tels risques pour nous.
Ce soir là il nous jette au travers de la fenêtre un sac avant de disparaître dans la nuit. Des pommes de terre! Et quelle odeur elles répandent! Un miracle de Hannoucah sans aucun doute pour chacune d'entre nous. Mais nous ne sommes pas au bout de notre surprise: une fois le sac ouvert, un des filles s'exclame: "regardez, il y a neuf pommes de terre!" Un chiffre pas anodin un soir de Hannoucah.
Il n'est plus question de manger ces pommes de terre comme ça! Nous les alignons. Huit patates alignées l'une à côté de l'autre, puis la neuvième un peu plus loin, comme un "chamach".
C'est alors que "Maoz Tsour" le chant de Hannoucah jaillit de toutes les bouches. "Toi le Rocher de ma délivrance, c'est à Toi qu'il convient de porter des louanges".
Nous sommes restées longtemps autour de nos "bougies", chantant silencieusement les yeux fermés ou embués, accrochées à ces instants fugitifs d'un bonheur passé.
Tout d'un coup, a porte est ouverte rageusement par deux SS. Malgré nos efforts pour chanter "en silence" ils nous ont entendues. On n'a pas le droit de chanter lorsqu'on est prisonnier! L'un d'entre eux découvre l'objet de notre recueillement, et s'approche à grands pas pour écraser une à une les pommes de terre. "Une, deux, trois … neuf".
Leurs yeux crachent du feu et de la haine encore plus que d'habitude. Ces quelques instants de satisfaction que nous leur avons volés les ont mis en rage. Sous un flot d'injures, chacune reçoit neuf coups de matraque.
Mais cela ne leur suffit pas.
"Qui vous a donné ces patates?"
Toutes se taisent.
"Vous avez 24 heures pour dénoncer le coupable. Si vous ne parlez pas, cela vous coûtera très cher." Sur le point de sortir, l'un se retourne. "Demain soir, si vous ne parlez pas, on vous met en rang et on en tue une sur neuf" aboie-t-il.
Une nuit pénible nous attend. Une chute difficile après ces instants de Hannoucah. Toute la journée, la tension est extrême, et nous prions D.ieu pour ôter de nous cette nouvelle épreuve.
Et le miracle se produit. Ce soir là, c'est le 24 décembre. Les allemands sont agités, pressés d'aller faire la fête, de s'enivrer. Ils dansent, chantent, crient. Bref ils nous ont complètement oubliées. Certes, nous poursuivons nos prières, mais c'est plus pour remercier D.ieu. L'ultimatum est passé, et plus aucun allemand n'en reparlera. Un véritable miracle de Hannoucah!
Grâces à D.ieu, je suis maintenant mère et grand mère, et je ne manque pas de raconter chaque année mon miracle de Hannoucah à mes six petits enfants.
Cette histoire personnelle racontée par Mme Chochana Egozi de Guivat Savion est parue dans "Sihat Hachavoua, Conversation de la semaine, Kfar Habad, n° 779, Décembre 2001..
Réalisé par Aharon - www.milah.info
Sauvé par les bougies de 'Hannouca
Une histoire de 'Hannoucah racontée par Rav Touvia Bolton, Yéchiva Kfar 'Habad.
Notre histoire se déroule à Bagdad, il y a près d'un siècle. Ce Chabbat, à la table de Avraham Pinchas, il n'y a qu'un seul invité, ce qui est peu habituel chez lui qui a toujours une table pleine de Rabbins, de voyageurs ou de pauvres de la communauté. L'invité est tout entier à admirer les tapisseries persanes, l'argenterie et autres couverts en or, les boiseries magnifiques. Une seule chose l'étonne: sur un buffet est posée une vieille cruche de terre, vide et cassée comme on en faisait vint ans plus tôt pour mettre de l'huile.
Avraham qui a suivi le regard de son hôte intervient:
Vous vous demandez certainement ce que fait ici ce vase? Je vais raconter une drôle d'histoire.
Mon père était un homme d'affaires très respecté à Bagdad. Il était toujours très occupé, et il a laissé à mon grand-père le soin de m'élever.
Chaque matin, mon grand-père me réveillait, s'assurait que j'avais fait "Nétilat Yadaïm" (ablution des mains) du matin, que j'avais récité les bénédictions et que je n'avais pas oublié mon goûter pour l'école. Lorsque je quittais la maison le matin, il m'embrassait, puis levait les mains au ciel en disant "va-ani ana ani ba" (et moi, que vais je devenir? Genèse 37, 30).
Ce n'est que plus tard que j'ai appris le sens de ce verset, déclamé par Réouven lorsqu'il découvre que son frère Joseph a été vendu par ses frères, set qu'il ne pourra le ramener à son père Jacob. Ce n'est pas pour autant que j'ai compris le rapport avec moi.
La tragédie commença lorsque j'avais 14 ans. Mon grand-père mourut, et je n'avais plus personne pour s'occuper de moi. Je suivais souvent mon père dans son travail, allais parfois au 'Héder retrouver mes amis et mes maîtres. Mon père se souciait de savoir si j'avais prié, si j'avais étudié. Mais il était surtout très occupé, et moi j'étais fasciné par le monde des affaires, et n'accordais guère d'importance aux études. Deux années plus tard, c'est mon père qui quitta ce monde. J'étais cette fois seul, avec un lourd problème: que faire de l'entreprise de mon père? Les avocats me conseillaient de vendre, et moi je ne rêvais que de tenter ma chance dans les affaires. Ce que je fis.
Je me sentais comme un poisson dans l'eau, et la petite entreprise de mon père devint rapidement une grande entreprise. J'étais parfois gêné par mes tsitsith et ma kippa et lorsque j'ai cessé de les porter mon affaire a prospéré de plus belle. Tout comme je fis un bond en avant lorsque j'ai commencé à manger avec mes clients, puis quand j'ai cessé d'observer Chabbat.
Plus je m'éloignais de la Torah, plus je faisais des affaires. Cela dura plusieurs années. Jusqu'au jour où en traversant le quartier juif, je vis un petit bonhomme de treize ans assis sur le trottoir en train de pleurer. Cela dérangeait mon bonheur de voir ce gamin pleurer, et je me suis approché de lui pour lui proposer de l'aide.
"Merci m'sieur, mais vous ne pouvez pas comprendre, c'est une histoire de juifs"
J'étais terriblement vexé.
"Mais je suis juif moi aussi, j'ai même étudié au 'Héder et à la Yéchiva.
Excusez-moi, m'sieur, j'voulais pas vous vexer. Je suis tellement triste. Nous n'avons rien à la maison. Mon père est mort il y a quelques mois, et ma mère travaille dur pour moi et mes six frères et sœurs. C'est pas facile. Ce matin, ma mère a dit que c'est 'Hannoucah ce soir, et nous avons cherché dans toute la maison de quoi acheter de l'huile pour appeler le miracle de 'Hannoucah et peut être D.ieu nous fera à nous aussi un miracle de 'Hannoucah .
C'est ma petite sœur qui a trouvé une pièce sous un meuble. Nous avons été tellement heureux! Ma mère m'a envoyé acheter de l'huile avant que la boutique ne ferme. J'ai couru, couru, et j'ai réussi à acheter une cruche pour fêter dignement la fête et les miracles de D.ieu.
Je suis retourné vers la maison comme dans un rêve. J'imaginais la joie de chacun d'entre nous à voir brûler ces petites bougies, j'entrevoyais déjà les reflets sur les visages de mes frères, comment nous allions certainement chanter et danser comme l'an dernier avec mon père, comment certainement D.ieu attendait cette joie pour nous envoyer Machia'h.
J'allais de plus en plus vite, mi-courant mi-dansant. Et j'ai glissé.
Je suis tombé, la bouteille est tombée, s'est cassée, et la voici: l'huile est répandue par terre, nous n'avons plus d'argent nous n'avons plus de 'Hannoucah! "va-ani ana ani ba?"
Le gamin s'était remis à pleurer, et moi j'étais foudroyé. "va-ani ana ani ba"! Le souvenir de mon grand-père était revenu. Je comprenais enfin la portée de ses mots: il savait! Il savait ce qui allait arriver.
La cruche brisée, c'était moi!
L'huile répandue, c'était ma part d'âme juive. J'avais perdu mon âme pour une réussite matérielle vide. Je pris de l'argent dans ma poche, et ordonnais au gamin de courir chez l'épicier. Et s'il n'ouvrait pas, de lui dire que c'est Avraham Pinchas qui l'envoie. Je lui recommandai d'acheter tout le nécessaire: de l'huile, de la farine, de la viande et du poisson, des bonbons et des jouets…Bon 'Hannoucah!
Encore sous le choc, j'ai ramassé la cruche, et je suis rentré chez moi. J'ai congédié les domestiques pour la semaine, et je me suis assis face à cette cruche pour pleurer sur mon sort.
Puis je me suis ressaisi: un juif ne peut perdre sa part d'âme divine qui est en lui. Il peut l'ignorer, la mettre en sommeil, mais jamais la perdre. Je suis parti chercher la Ménorah de mon grand-père, sous une couche de poussière, un peu d'huile, une mèche, et j'ai allumé la première bougie de 'Hannoucah pour la première fois depuis des années.
La lumière se fit! Je me suis senti revivre. Il fallait que je fasse quelque chose pour fêter cet événement, et j'ai décidé que je devais mettre les Tefilin tous les matins.
Le lendemain soir, j'ai allumé deux bougies. Et pris la décision de manger strictement cacher.
Avec la troisième bougie, j'ai décidé de me remettre à l'étude de la Torah.
Le lendemain soir, j'ai adopté Chabbat.
Lorsque je me suis retrouvé avec huit bougies allumées devant moi, j'étais déjà un autre homme. Les bougies de 'Hannoucah m'ont sauvé.
C'est la raison pour laquelle je garde cette cruche cassée devant moi tous les jours. Elle me rappelle où j'étais tombé, et comment le miracle de 'Hannoucah s'est produit pour moi. "
Que D.ieu fasse que les bougies de 'Hannoucah nous apportent et apportent à toute l'humanité paix et bénédictions, que D.ieu nous envoie le Machia'h et que nous puissions bientôt rallumer les lumières de la Ménorah du Temple de Jérusalem et nous réjouir avec tous nos frères juifs à Jérusalem.
Réalisé par Aharon - www.milah.info
Refuznik!
L'évocation de ce nom nous remet en mémoire l'histoire de ces juifs de l'ex URSS mis à l'index parce qu'ils voulaient émigrer en Israël, le pays de leurs ancêtres. Mis à l'index, privé de travail, de droits civils, épiés, traqués, jetés en prison…
Ainsi est l'histoire de Yossef Mendelovitch. Jeté en prison pour "propagande mensongère". Comprenez qu'après des années de tracasseries, d'enquête sur des crimes imaginaires contre la "patrie soviétique", le KGB avait accumulé suffisamment de griefs pour lui mettre la main dessus et le faire causer. "Et plus ils l'opprimaient, et plus il se renforçait" dit la Torah sur l'oppression d'Egypte.
Mendelovitch aussi se renforça, malgré les pressions physiques et morales inouïes exercées sur lui. Pas une dénonciation, pas un nom ne purent lui être extorqués.
Il fut alors mis en cachot d'isolement. Une méthode fort simple: peu de nourriture, pas de sortie quotidienne, pas de contact avec d'autres prisonniers ou la lumière du jour.
De quoi briser la résistance d'un homme. Mais pas Yossef Mendelovitch, qui trouvait dans cette adversité les forces pour résister.
Difficile à imaginer comment Yossef était capable de calculer les dates des fêtes juives. Pourtant il savait que 'Hannoucah approchait. Les lumières de la Ménorah ne symbolisent elles pas la résistance à l'oppression, la victoire du faible sur le fort, des forces du bien sur le mal, du petit peuple sur le rouleau compresseur de la culture grecque? Yossef avait toutes les raisons de marquer le coup.
Il réussit à se procurer une allumette auprès de ses geôliers, qu'il cacha du mieux qu'il put, puis confectionna quelques mèches avec des fils tirés de sa tenue de prisonnier.
Restait à trouver de l'huile et un récipient adéquat. A vrai dire le peu de temps qu'il passait en dehors de sa cellule ne lui permettrait pas de résoudre le problème dans les quelques jours qui restaient avant 'Hannoucah, et Yossef espérait que le miracle allait se produire qui lui procurerait tout le nécessaire à l'allumage de 'Hannoucah.
C'est la veille de 'Hannoucah qu'il trouva la solution. Ou plutôt une solution. Une façon de perpétuer a minima la coutume de l'allumage. Il saisit un des cailloux qui traînaient dans la cellule, et grava sur le mur une forme de Ménorah à huit branches. La première branche se terminait sur une fissure du mur, dans laquelle il enfonça une mèche.
La nuit venue, il sortit l'allumette de sa cachette, la frotta contre le mur, jusqu'à ce qu'une étincelle en jaillisse, récita les bénédictions puis alluma sa mèche. Un trop bref instant, la cellule fut illuminée par cette flamme jaillie de l'histoire juive pour réjouir le cœur d'un brave juif prisonnier au plus profond de la Sibérie et y rester lumineuse durant des années de captivité. La petite flamme qui brûle au fond du cœur de chaque juif.
Des années plus tard, Yossef eut l'occasion de raconter et reraconter ses malheurs et ses quelques joies de paria juif dans la Russie d'alors. Une petite fille lui demanda pourquoi il avait continué à pratiquer les Mitsvot malgré tant d'adversité.
"Peux tu demander à un arbre de ne pas pousser?"
C'est dans la nature du juif de se développer, de s'élever dans les degrés de la Sainteté du Service Divin au travers de chacun des gestes qu'il accomplit. Et plus il rencontre des entraves sur ce chemin, plus il s'élève.
Traduit de "Touched by a story" de Rabbi Yechiel Spero, Artscroll., © Mesorah Publications.
Huit bougies à Amsterdam
C’est Idith Aharon qui raconte:
J’avais tellement entendu de récits sur Amsterdam, la ville aux mille canaux et aux maisons multicolores, que je rêvais, lorsque j’avais quinze ans, à cette ville de légende, où je me promettais d’aller un jour. C’est à dix-neuf ans que je pus concrétiser mon rêve, marchant sans trêve dans les rues de cette métropole, à la recherche de toutes les légendes entendues.
Après quelques jours de confrontation avec la réalité, je m’apprêtais à en repartir, lorsque la Providence m’y fit trouver un travail. Un emploi bien rémunéré de serveuse dans un "pub", un café obscur, m’immobilisa pour des mois derrière un comptoir, endormant une partie de moi-même avec les rêves que j’avais nourris. Il arriva une fois qu’ayant appelé la maison pour avoir des nouvelles, je m’enquis de la prochaine fête. On me répondit que la première bougie de ‘Hanouka devait être allumée le soir même. Je ressentis aussitôt la nostalgie du pays d’Israël, les lampes de ‘Hanouka à toutes les fenêtres, la pluie qui balayait les rues pendant que les petites lumières dansaient partout, célébrant une silencieuse victoire.
Et je décidai que j’allumerai, moi aussi, ces lumières, ici, dans ce pub obscur où des non-Juifs venaient étancher des soifs sans fin. Mais une ou deux lumières ne me paraissaient pas suffisantes, et j’allumai chaque soir huit bougies sur le comptoir derrière lequel j’officiais. Mon frère, qui était revenu au Judaïsme de nos pères par la voie de la ‘Hassidouth, m’avait confié trois livres avant mon départ, en me faisant promettre de ne jamais m’en séparer, et de les étudier de temps à autre. Je les gardais toujours près de moi, les considérant comme des talismans pour assurer ma protection.
Mais cette fois, alors que les lumières de ‘Hanouka brûlaient, je décidai d’en ouvrir un, c’était, je crois, le "Tanya", et d’y lire un peu dans mes instants de loisir…
C’est le troisième soir que la chose arriva. Il était fort tard, bien après minuit, lorsque la porte s’ouvrit et qu’un homme entra. Il resta un moment immobile, semblant se repérer dans l’obscurité, et examinant les lieux. Quelque chose me parut bizarre en lui. Il portait la barbe et était coiffé d’une casquette, il me semblait étrangement familier.
Pendant que je l’examinais, il tourna son regard vers les bougies et demeura comme cloué de stupeur. Ses yeux allaient des lumières à l’ensemble de la salle, puis à moi, qui me tenais derrière le bar. Son étonnement devenait évident pour moi, c’était un Juif! Il s’approcha à pas hésitants et s’assit finalement sur l’un des tabourets du bar. Je pus ainsi constater qu’il s’agissait d’un tout jeune homme. Je l’interrogeai en anglais: "Que buvez-vous"? Il commanda une bière.
Pendant que je le servais, je lui demandai, en hébreu cette fois: "Vous êtes Juif, n’est-ce pas"? Il répondit affirmativement, mais il semblait en même temps paralysé par l’émotion, semblant vouloir parler et ne le pouvant pas.
Je continuai mon interrogatoire: "Pourquoi êtes-vous venu ici, dans cet endroit peu recommandable? Que cherchez-vous ici"?
- "Je…. Je ne suis venu que pour boire une bière", répondit-il comme pour s’excuser.
Je poussai davantage mon offensive: "C’est ici qu’un Juif doit venir boire une bière? Les bières manquent-elles au centre commercial de la ville"? Je poursuivis, d’une voix calme mais résolue: "Je vois en face de moi un jeune homme juif qui, d’un côté s’accroche à la vérité, et qui, de l’autre, semble la fuir.
Comment pouvez-vous vous mentir à ce point"?
- "Mais vous-même", riposta-t-il, "que faites-vous ici? Est-ce que la même vérité ne vous concerne pas"?
- "Vous avez raison", admis-je, "mais nous ne sommes pas comparables. Moi, je n’ai pas grandi dans un foyer religieux. Pourtant, il y a longtemps que j’ai compris que c’est là que réside la vérité. Vous voyez ces livres, eh bien, je les lis quand je peux, et peut-être qu’un jour je ferai Téchouvah".
Entre-temps, le jeune homme avait fini sa bière, et il sortit après avoir payé. J’étais très remuée de cette rencontre, et je me mis à pleurer. Je murmurai entre deux sanglots: "Maître du monde, si Tu ne veux me pardonner parce que je ne suis pas digne d’être proche de Toi, au moins fais revenir à Toi cet enfant égaré, sauve-le, car il n’a rien à faire dans tout ce mensonge"!
Je venais à peine de me calmer, que le jeune homme revint. D’un pas décidé, il s’approcha du bar, y déposa un billet de banque d'une valeur élevée et me dit: "C’est pour vous, merci beaucoup", avant de sortir.
Je pris le billet et murmurai: "Si Tu m’aides, mon D.ieu, à revenir à la Torah, je donnerai cet argent à la Tsédaka. De ce jour, quelque chose changea en moi. Rien ne se vit extérieurement, mais c’était comme si une force intérieure me tirait vers une enfance lointaine, vers des souvenirs encore plus anciens, antérieurs à ma propre vie, à celle de ma mère et même de ma grand-mère.
En même temps, je me pris à détester le travail que je faisais, et encore plus la ville où j’étais, les gens me semblèrent encore plus étrangers, et un fort sentiment de solitude m’habita en permanence. Un soir où j’étais assise dans ce café, et où je pensais que je n’avais plus où aller, je me souvins du Rabbi.
De ce Rabbi dont mon frère n’arrêtait pas de raconter les hauts faits, dont j’avais vu la photo dans les journaux, et dont je ne savais pas au juste ce qu’il était pour moi.
Voici ce que je fis: je pris une serviette de papier et j’écrivis dessus, décrivant le sentiment de détresse qui m’étreignait, le désaccord avec tout, et même les souvenirs d’un passé inconnu qui m’assaillaient. Au verso de la serviette, je notai que j’avais vu le Rabbi en rêve, et que, puisque de nombreuses personnes avaient été aidées par lui, je lui demandais, moi aussi, la petite jeune fille de peu d’importance, qu’il me vienne en aide en me libérant de mes angoisses et de la crainte qui s’était emparée de moi.
Et, comme je savais que rien ne s’obtient gratuitement, je promis que je retournerais en Eretz et que j’y entamerais un parcours de Téchouvah. Je pliai la "lettre" et la mis dans la poche de mon chemisier. Immédiatement, il se passa quelque chose que je n’oublierai jamais!
Je sentis que toute mon expérience vécue s’en allait, et avec elle mes pensées et mes craintes. Un vent violent soufflait en moi, me débarrassant de tout et me laissant comme un récipient vide. D.ieu merci, je n’étais pas amnésique, je savais toujours qui j’étais, mais toutes mes angoisses, mes mauvaises pensées et le sentiment de détresse s’en étaient allés… Je pris aussitôt conscience du grand miracle. Le Rabbi m’avait répondu et avait exaucé immédiatement ma requête.
J’étais comme une page blanche, responsable de ce qui, désormais, y serait inscrit.
Une semaine plus tard, je reçus une longue lettre de mon frère, qui m’informait qu’il était devenu "‘Hatan" et allait se marier, et la dernière ligne était à mon intention: "Où es-tu? Où es-tu? Où es-tu?" A cette lecture, j’éclatai en sanglots. Où étais-je, en vérité? Il avait mille fois raison de se soucier de moi, qui avais été paresseuse à faire la seule chose qui s’imposait. Une semaine après avoir reçu sa lettre, je débarquai à Loud, où mon frère m’attendait. M’attendait aussi un processus de Téchouvah, qui ne fut pas simple mais qui ne connaîtra pas de fin.
Je me suis mariée, Barou’kh Hachem, et je suis partie rendre visite au Rabbi, alors que j’attendais mon premier enfant. Un jour, pendant mon séjour au "770", je rencontrai une amie d’Israël, qui n’appartenait pas au mouvement ‘Habad. Elle me proposa de l’accompagner à une journée d’étude à Boro-Park, un autre quartier de New-York, me promettant que ce serait "terriblement intéressant", ce qui me convainquit.
La salle de conférences était emplie à craquer de femmes de tous âges et de toutes conditions. Le conférencier était connu, et il exposait brillamment son sujet, l’illustrant d’exemples et d’histoires. Mais je pensais: "Qu’ai-je à faire ici ? Tout le message qu’il délivre est déjà derrière moi, car j’ai déjà accompli tout ce qu’il expose! "
Les minutes passaient et j’étais attentive, me disant que si j’avais été conduite ici, c’était nécessairement pour une finalité qui m’était destinée. "Peut-être les paroles de l’orateur seront-elles utiles à un progrès de plus", me disais-je pour me raisonner.
Le Rav était en train de dire: "Nous n’avons aucune idée de l’impact des événements, des spectacles dont on est témoin, et même des paroles entendues, sur l’âme humaine. J’ai d’ailleurs une histoire à ce sujet, et elle vous parlera, particulièrement à vous qui habitez Boro-Park… Il y a peu de temps, j’ai rendu visite à un ami cher, qui dirige un Collel à Jérusalem, et il m’a emmené dans la grande salle d’étude, où j’ai pu rassasier mes yeux et mes oreilles du spectacle de ces jeunes gens, étudiant par deux à chaque table, et dont le tonnerre des voix confondues emplissait le vaste local.
Mon ami me chuchotait à l’oreille: "Chaque jeune homme ici est le héros d’une histoire particulière". Ses yeux cherchaient dans l’assemblée, et finirent par se poser sur l’un de ces hommes. Il me le désigna et me raconta les faits suivants: "Il y a cinq ans, ce jeune homme a quitté la maison paternelle à Boro-Park en pleine crise d’adolescence. Il a quitté sa Yéchivah et a commencé à travailler pour amasser assez d’argent dans le but de voyager dans le monde. Il avait quand même gardé quelques signes de judéité, dont il ne parvenait pas à se défaire. Ce jeune homme partit donc un jour, muni d’une somme d’argent assez confortable, pour un voyage en Europe, pensant sans doute qu’il aurait été dommage pour lui de ne pas connaître certains "trésors" qui pouvaient s’y trouver.
Il arriva un jour en Hollande, c’était au moment de ‘Hanouka, et il entra un soir dans un café au style plus que douteux. Là, à sa grande surprise, il vit une ‘Hanoukia posée sur le bar, et brillant de ses huit lumières, malgré le fait que ce soir-là n’était que le troisième de la Fête.
S’étant approché de la jeune fille qui avait allumé ces bougies, il découvrit qu’elle était juive, originaire d’Eretz-Israël, mais, comment dire? celle-ci lui "donna une leçon".
Les paroles de cette jeune fille le frappèrent profondément, en particulier parce qu’elle n’était pas pratiquante, mais ne voulait pas faire la moindre concession à la tradition de ses ancêtres, même dans ce lieu si méprisable. Quant à lui, qui venait d’une maison fondée sur l’amour de la Torah et des Mitsvoth, il se dit qu’il avait laissé tout cela en échange de… rien! Il ne lui fallut pas longtemps pour rentrer chez ses parents, et de là vers notre institution.
Il est maintenant marié, et ils attendent leur premier enfant. C’est ainsi que mon ami conclut sa merveilleuse histoire, que je n’ai pu oublier jusqu’à ce jour", termina l’orateur.
Quant à moi, j’étais assise pétrifiée, envahie de frissons, et parcourue en même temps d’une joie intense. Des larmes se mirent à couler sur mes joues, sans pouvoir s’arrêter. Je remerciais D.ieu pour le privilège d’être revenue à Lui, moi la jeune fille de cette histoire… L’histoire vraie de ma délivrance, pour laquelle D.ieu était descendu en personne dans les fins-fonds de l’impureté, pour me sauver, en même temps qu’un autre Juif…
Extrait de "Courrier de la Gueoula", N° 392, Juin 2005.
Les bougies de mon enfance et... Internet!
A l'âge de huit ans, j'étais le seul enfant juif de mon école, du moins c'était mon impression, et c'est cela qui compte dans le psychisme d'un enfant. Comme tous les enfants, je désirais trouver ma place parmi mes camarades et surtout ne pas être trop différente.
Mais j'étais différente puisque j'étais juive et on me le rappelait, au moins une fois par an, lors de la fête du 25 décembre. En effet, après que toutes mes camarades aient chanté devant le sapin illuminé, on me poussait en avant pour que j'allume une bougie sur une petite Menorah en prononçant une formule que ni moi, ni l'assistance ne comprenaient, et je devais chanter un refrain de 'Hanouccah.
Non seulement j'étais différente, mais j'étais vraiment unique. J'étais l'enfant unique d'un survivant de la Shoah. Pour moi, le judaïsme c'était la Shoah, mon existence même était une victoire sur le nazisme. On pourrait facilement rejeter la responsabilité sur mon père, le survivant. Mais non, il ne me parlait pas de cela, ne me racontait pas de détails sur cette période qui l'avait marqué à vie, bien que cela eût probablement pu nous aider tous les deux à assumer cette tragédie.
Il n'y avait qu'absence. Silence. Je n'avais ni grands-parents, ni famille de son côté, nul point d'attache auquel j'aurais pu me référer car mon père refusait de répondre à mes questions maladroites d'adolescente. Il y avait une tension permanente entre le désir de gommer les différences et l'envie de se faire remarquer. L'ambition dans notre famille était d'être le meilleur partout, d'étudier le mieux possible. Ce n'était pas de l'arrogance, mais un réflexe sophistiqué de survivant. Donc, je me consacrais à fond à mes études, j'étais toujours la première, je collectionnais les premiers prix.
Mais notre famille vivait sur un curieux paradoxe: d'un côté, on m'encourageait à être la meilleure, donc différente, mais de l'autre, on essayait par tous les moyens de faire comme les autres. Nous allions rarement à la synagogue, nous ne mangions pas cachère, ma mère ne savait pas lire l'hébreu.
Mais j'étais juive, et le judaïsme me pénétrait inconsciemment par un phénomène d'osmose parce que j'étais, ou plutôt surtout parce que mes parents étaient Juifs, mais le judaïsme ne signifiait rien pour moi. Toute mon identité juive s'accrochait au seul événement dont j'avais connaissance: la Shoah.
Il est connu qu'on se connaît bien soi-même lorsqu'on se voit avec les yeux de ses enfants. Ce n'est que lorsque j'ai eu moi-même des enfants et que je leur ai donné le même style de vie, c'est-à-dire quelques rites qui n'étaient rattachés à aucune histoire, que je réalisai que mon judaïsme manquait d'ossature. Je devais en savoir plus et mon arrogance de première en tout me faisait croire que cela ne prendrait que quelques heures.
Je choisis de me renseigner par Internet: je pouvais y entrer et en sortir comme je voulais, je pouvais choisir mon programme d'études, rejeter ce qui ne m'intéressait pas. Et une fille aussi douée que moi aurait vite fait le tour de la question.
Faux.
La transformation a été progressive, je n'ai pas été touchée par la grâce ou un rayon lumineux, je n'ai pas eu de crise d'hystérie ou une grande révélation métaphysique. Je discute régulièrement avec mon rabbin (oui, j'ai été jusque là!). J'ai aussi le plaisir de vous annoncer que je ne suis pas la seule Juive à l'école (virtuelle, bien sûr, d'Internet).
Il y a une réelle communauté d'âmes juives sur la "toile mondiale" qui relie les ordinateurs de par le monde, tous sont avides d'en connaître plus sur leur identité juive.
Un clic avec la "souris" m'apporte des échantillons interactifs de Talmud, de pensée juive, de mysticisme, d'histoire et de philosophie juive. Je corresponds régulièrement avec un 'Hassid que je n'ai jamais rencontré et grâce à lui et son organisation, Chabad Lubavitch in Cyberspace (http://www.chabad.org.) j'ai redécouvert mes différences, mais autrement.
Le plus important, c'est que je me rends compte de tout ce que je ne connais pas, et je ne me définis plus seulement à partir d'un événement dramatique. J'ai compris qu'on ne peut être juif uniquement par osmose: cela demande des efforts, plus encore que pour d'autres études; ce judaïsme est devenu le point central de mon identité, comme la couleur de mes yeux. Et je veux que cette caractéristique soit une source de fierté aussi pour mes enfants.
On ne peut savoir où on va, tant qu'on ne sait pas d'où on vient. C'est l'histoire juive toute entière, et pas seulement la Shoah qui forge notre identité.
Parfois, je souhaite avoir de nouveau huit ans, non parce que je veux à nouveau cacher mon judaïsme ou le laisser apparaître avec un refrain enfantin, mais parce que je sens que mes chansons seraient maintenant plus belles, ma voix serait plus assurée, et la lumière de mes petites bougies serait bien plus intense.
Ilsa J. Bick, pédopsychiatre, Fairfax V.A.
Traduite par Feiga Lubecki
Unis autour des bougies
Hanouccah 5762, New York
Les enfants juifs savent que dès que les lumières de Hanouccah sont allumées, les cadeaux apparaissent. Allumer les lumières de Hanouccah n’a pas toujours été facile. Laissez-moi vous raconter ce que j’ai entendu de la bouche de mes amis, survivants de la Shoah.
Jour après jour, des wagons à bestiaux amenaient des Juifs de tous les pays d’Europe : affamés, effrayés, épuisés, ils regardaient incrédules les cheminées qui crachaient vers le ciel tant de cendres de victimes juives gazées…
Un jour, un Nazi, un homme sadique et connu pour sa cruauté, accueillit ainsi les nouveaux arrivants : "Juifs, aujourd’hui, c’est Hanouccah. Le grand Satan m’a dit que vous voulez célébrer Hanouccah. Alors, au lieu de vous tuer, je vais vous envoyer dans la cabane. Là, vous pourrez vous reposer". Stupéfaits par ces paroles d’accueil, les Juifs furent effectivement transférés dans une baraque.
Un jeune homme regarda par la fenêtre, aperçut les fours crématoires et dit : "J’ai bien peur que nous-mêmes ne soyons bientôt transformés en bougies vivantes de Hanouccah…". Les enfants commencèrent à pleurer, puis les adultes.
Dans le groupe, se trouvait un vieux rabbin, Yossef. Malgré la panique et l’angoisse ambiantes, il prit la parole calmement : "Qui a besoin de bougies, d’huile ou de mèches? En chaque Juif, il y a un feu de D.ieu. Aucune nation dans le monde ne pourra éteindre notre flamme. Nous devons avoir confiance en D.ieu et ne pas céder à la peur! ".
C’est alors que le Nazi entra : "Aujourd’hui je veux du spectacle. Je vous donne une miche de pain et vous devrez la partager. Je sais que vous allez vous disputer chaque miette et je savoure déjà cette petite "fête". Et je vous donnerai aussi à chacun 2 grammes de margarine. Au vieux, là-bas, je donne le double! ".
L’odieux Nazi jeta alors la margarine sur le sol et ordonna au vieux rabbin de le lécher. Yossef se mit à terre mais au lieu de lécher la graisse, il en enduisit soigneusement les plis de son vêtement.
Le Nazi éclata de rire en pensant qu’il l’avait bien ridiculisé. Bientôt, il pourrait se moquer de tous les autres Juifs qui se battraient pour des miettes de pain. Il sortit chercher son morceau de pain.
"Mes frères, mes sœurs, déclara Yossef, aujourd’hui nous avons été témoins d’un miracle. La graisse servira d’huile pour allumer les lumières de Hanouccah. Je prendrai des fils de mon manteau et j’en ferai des mèches. Venez, allumons! " Certains de ses compagnons lui donnèrent spontanément leurs rations de margarine. Yossef retira les boutons sertis de son manteau, en enleva l’étoffe, de telle sorte qu’il disposait maintenant de petits godets.
Et voilà! Il avait à sa disposition une Menorah! Yossef ressemblait à un ange.
"Mes frères, nous sommes ici dans les camps de la mort. Des millions des nôtres ont déjà été massacrés. Nous avons une âme. Alors que j’allume la Menorah pour notre dernier Hanouccah, prions ensemble. Je suis sûr que notre peuple triomphera de ce mal et de cette cruauté. Chantons ensemble! "
Le groupe paniqué s’était calmé. Les lumières de Hanouccah avaient transformé ces hommes affolés en une communauté unie autour des mêmes valeurs.
Le Nazi entra alors avec sa miche de pain. En voyant les lumières tremblotantes, il eut un mouvement de recul : comment était-il possible que des gens affamés, affolés, battus se soient calmés et aient déployé des trésors d’ingéniosité pour célébrer Hanouccah dans de telles conditions? Il faut une âme pour être sensible aux miracles et cela, le Nazi ne l’avait plus.
Peu de gens survécurent mais celui qui sortit vivant du camp me raconta l’histoire.
Alors ce Hanouccah, j’allumerai la Ménorah et raconterai cette histoire à mes enfants. Je leur montrerai comment l’esprit ne peut jamais être brisé. J’espère leur faire comprendre que la fête de Hanouccah, c’est bien plus que des jeux et des jouets, c’est la fête de la vraie liberté.
A nos amis américains et leurs alliés, nous montrerons la grandeur du spirituel. Je suis sûr qu’avec la défaite des terroristes, nous triompherons du mal et de la cruauté. Tout comme nos pères dans les camps de la mort, nous prouverons que des gens peuvent surmonter toutes les épreuves. Célébrons dignement Hannoucah, cette année encore plus que d’habitude!
Rav Elie Hecht Vice-Président de l’alliance rabbinique des Etats Unis
Traduit par Feïga Lubecki
Hannoucah en Burgondie...
Une histoire n'est pas un conte de Hannoucah, mais une histoire vraie racontée par mon ami Manu. Le second héros de cette histoire est un Burgondin de Burgondie, pays qui n'est pas la Bourgogne, et que je préfère évoquer plutôt que rameuter le MRAP ou la LICRA. Novembre 2002.
Un ami de Paris qui s'occupe d'organiser la campagne d'affichage pour allumer les bougies de 'Hanouka est parti ramasser des fonds auprès de généreux donateurs (que l'on ne remerciera jamais assez, elle fait chaud au cœur cette campagne). Et voilà que dans la rue, un quidam, burgondin de son état, le bouscule et poursuit son chemin sans autre forme de procès.
Mon ami, déçu devant cette attitude, s'est exclamé sans ironie aucune : "Excusez-moi, Monsieur !" Le burgondin se retourna alors et lui dit : "Mais pourquoi vous vous excusez ? C'est moi qui vous ai bousculé !"
"- Oui, mais comme vous ne vous êtes pas excusé, je l'ai fait moi." répondit mon ami.
Le burgondin était sans voix. Puis, tout à coup il dit "Vous savez ce que j'ai vu tout à l'heure, un jeune a bousculé une vieille dame qui est tombé par terre. et au lieu de s'excuser il s'est mis à crier à la vieille dame "Vous pouvez pas faire attention ! Vous m'avez bousculé !", J'étais outré. Vous savez, je suis un burgondin de Burgondie, et chez nous..."
"Moi aussi je suis burgondin." lui répondit gentiment mon ami. Et ils partirent chacun de leur côté. Quelques minutes après, mon ami mit la main dans sa poche comme le ferait régulièrement n'importe quelle personne ayant une liasse de plusieurs milliers d'Euros sur soi.
Stupeur. Plus de liasse ! C'est sûrement Le burgondin. Mais comment il a fait ? Je n'ai rien senti ! Il est vraiment trop fort celui-là...
Mon ami était complètement déboussolé, il était abasourdi par le culot et le professionnalisme de ce voleur et désemparé quant à sa quête de Tsédaka. Que faire ?
C'est alors qu'il aperçu son voleur, de l'autre côté du carrefour, en train de parler de manière très animée avec quelqu'un.
Et là vous allez difficilement me croire :
Soudain, Le burgondin quitte son camarade et traverse le carrefour dans la direction exacte de mon ami.
Arrivé à quelques pas de lui, il lui tend la liasse et lui dit : "'Hoya, reprend ton argent. Je veux pas le garder. Mon ami ne voulait pas que je te le rende mais moi je pouvais pas le garder. Tu vois, c'est mon métier, je suis pickpocket, mais là je peux pas. Tu es un homme de D-ieu. Tu est père de famille... Non, je ne peux pas. En plus, cela fait des années que je bouscule les gens, tu es le seul qui m'ait jamais dit "excusez-moi"...
SI AVEC CA MACHIA'H N'EST PAS PROCHE !
Aharon ALTABE
Il reverra la lumière…
Il y a quelques années, un médecin du sud de France m'a téléphoné. Sa petite-fille avait contracté une maladie qui décontenançait les praticiens français. Il avait lu quelques-uns de mes articles dans la presse médicale à propos des troubles du système nerveux. Il semblait que les symptômes de sa petite-fille correspondaient aux pathologies que je décrivais et il me demandait de l'aider.
Durant plusieurs mois, je correspondais donc par téléphone et par fax avec les médecins français, ce qui permit d'orienter leur diagnostic. Je prescrivis alors le processus thérapeutique et, en quelques semaines, la santé de l'enfant fit des progrès spectaculaires.
Ses grands-parents exprimèrent leur sincère gratitude et me demandèrent de les contacter si jamais j'avais l'occasion de me rendre en France.
En été 1996, je fus invité à diriger une conférence devant un important congrès scientifique à Nice. J'envoyai donc une lettre au médecin que j'avais conseillé des années auparavant et nous décidâmes, à mon arrivée, de passer ensemble une soirée chez lui.
Au jour dit, il vint me chercher à l'hôtel et m'emmena chez lui, dans la splendide campagne du sud de la France. Il était étonnant de constater que sa maison était plus ancienne que les Etats-Unis ! Durant le voyage, il m'annonça que sa femme souffrait d'une grave maladie qui, petit à petit, s'étendait à tous les organes mais elle avait insisté pour me rencontrer. Quand nous arrivâmes, je remarquai de suite que, malgré l'épreuve, elle était restée une femme belle et digne.
Après le dîner, nous avons pris un digestif dans leur salon du 17ème siècle et nous avons bavardé dans un mélange d'anglais, de français et d'espagnol.
A un moment donné, la femme me demanda : "Mon mari affirme que vous êtes juif. Est-ce vrai?"
"Oui, répondis-je, je suis juif".
Ils me posèrent diverses questions sur le judaïsme, surtout sur les fêtes. Je répondis de mon mieux, mais j'étais étonné du peu de connaissances de base qu'ils avaient à ce sujet. Elle semblait particulièrement intéressée par 'Hanouccah. Une fois que j'eus achevé de répondre à ses questions, elle me regarda droit dans les yeux et me dit: "Je veux vous remettre quelque chose".
Elle revint quelques minutes plus tard avec un petit paquet enveloppé dans un chiffon. Elle s'assit, ses yeux las plantés dans les miens et raconta lentement un épisode de son enfance: "Quand j'étais une petite fille de huit ans, durant la Seconde Guerre mondiale, les autorités envahirent notre village pour rafler tous les Juifs.
Ma meilleure amie à l'époque était une fille de mon âge, Jeannette. Un matin, alors que je venais jouer avec elle, j'aperçus qu'elle et sa famille étaient forcées de monter dans un camion. J'ai couru à la maison et j'ai annoncé à ma mère ce qui se passait: "Où emmène-t-on Jeannette?" lui dis-je anxieusement. "Ne t'inquiète pas, répondit-elle, elle reviendra bientôt!"
Je retournai vers la maison de Jeannette et consternée, je fus forcée d'admettre qu'elle était bel et bien partie. Les autres villageois avaient déjà envahi la maison, et recherchaient avidement des objets précieux ou d'une quelconque utilité, tout ce qu'ils pouvaient récupérer.
Les objets de culte juif ne les intéressaient pas et ils les jetaient dans la rue. Je me suis approchée et j'ai ramassé un de ces objets ; je l'ai immédiatement reconnu, c'était un chandelier à huit branches que Jeannette et sa famille allumaient aux alentours de notre fête du 25 décembre.
Je me suis dit, avec ma logique de petite fille : je vais le garder pour Jeannette jusqu'à ce qu'elle revienne, elle sera contente de le retrouver ".
Elle s'arrêta et prit une gorgée de brandy. "Depuis ce jour, je l'ai gardé. Je l'ai caché de mes parents et nul n'en a soupçonné l'existence. De fait, depuis cinquante ans, seul mon mari est au courant.
"Petit à petit j'ai compris ce qui était arrivé aux Juifs, que ni Jeannette ni ses parents ne reviendraient jamais. J'ai aussi été forcée de constater combien de personnes que j'ai connues ont, de fait, participé au génocide perpétré par les Nazis; je n'avais plus le courage de regarder ce chandelier. Mais je l'ai gardé, caché, en attendant quelque chose, je ne savais pas quoi exactement. Maintenant je sais ce que j'attendais. C'était vous, un Juif, qui avez activement aidé à la guérison de notre petite fille et c'est à vous que je remets ce chandelier".
Ses mains tremblantes déposèrent le paquet sur mes genoux. Lentement, j'enlevais le tissu qui l'enveloppait. C'était une Ménorah, mais totalement différente de toutes celles que j'avais vues jusqu'à présent.
Elle était en cuivre, avec huit godets pour l'huile et les mèches et un neuvième godet au centre, placé plus haut.
Il y avait une sorte d'anneau attaché au sommet et la femme mentionna qu'elle se souvenait que le père de Jeannette l'avait accroché dans l'entrée de leur maison.
Ce chandelier devait être très vieux. Par la suite, des gens qui s'y connaissaient en Judaïca estimèrent qu'il avait au moins un siècle.
Alors que je le tenais dans mes mains en pensant à tout ce qu'il représentait, je me mis à pleurer. Tout ce que je pus murmurer, ce fut un "merci" étouffé.
Quand je pris congé, elle me dit: "Il verra encore une fois la lumière…"
J'appris par la suite qu'elle mourut moins d'un mois après cet épisode. Elle avait certainement été soulagée d'avoir pu être fidèle à la mémoire de son amie Jeannette, qui n'était jamais revenue.
Ce 'Hanouccah, la Ménorah de Jeannette reverra la lumière. Tandis que j'allumerai les mèches devant ma famille réunie, nous dirons tous ensemble une prière spéciale pour la mémoire de tous ceux qu'elle représente. Nous ne laisserons plus la lumière du judaïsme s'éteindre. "Il reverra la lumière…"
By Blair P. Grubb, M.D. Medical College of Ohio Toledo, Ohio
Traduit par Feiga Lubecki
Un miracle de ‘Hanouccah
Durant la seconde guerre mondiale, un groupe de partisans polonais parvint à s'échapper des camps de concentration. Parmi eux, il y avait quelques Juifs et d'anciens officiers polonais. Bien organisés et solidaires, ils réussirent à causer des pertes parmi les nazis.
Durant l'une de leurs expéditions, ils trouvèrent un vieux rabbin, affamé, qui avait été laissé pour mort par les soldats allemands qui avaient tué toute sa famille. Un des partisans catholiques eut pitié de lui, lui donna à boire et à manger et l'aida à se rétablir quelque peu. Ce rabbin n'était d'aucune utilité réelle, on le chargea donc de faire la cuisine et de prier pour la sécurité des combattants.
Effectivement, ce groupe de partisans n'essuya aucune perte durant tout le reste de la guerre.
Une fois la guerre finie, le groupe se dispersa: certains retournèrent en Pologne, d'autres en Lituanie; d'autres devinrent des "personnes déplacées", errant d'un camp à l'autre, d'un pays à l'autre. Ceux qui s'étaient retrouvés en U.R.S.S., constatant que le gouvernement communiste ne leur était pas du tout favorable et les priverait de toute liberté, décidèrent coûte que coûte de franchir la frontière.
Il fallait quitter le territoire soviétique de nuit. On leur avait dit: "Vous devez traverser la rivière en hiver quand elle est glacée. De l'autre côté, c'est un no-man's land, vous y trouverez une cabane, celle d'un soldat soviétique chargé d'empêcher les gens de passer la frontière: tout simplement, il tire sur tout ce qui bouge.
Cependant, à une heure du matin, il quitte sa cabane, marche quelques kilomètres jusqu'à la cabane suivante où il retrouve un autre soldat. Les deux amis échangent des provisions et des renseignements, puis le soldat retourne à sa cabane. Tout cela lui prend environ deux heures. Pendant ce temps, vous pouvez vous réchauffer dans sa cabane mais il faut absolument en sortir avant qu'il revienne".
Parmi les partisans, il n'y avait que des jeunes. Les anciens avaient depuis longtemps renoncé à ce genre d'aventure et s'étaient résignés à rester en Union Soviétique. Le seul qui voulut se joindre aux jeunes gens était le vieux rabbin.
Une discussion agitée s'ensuivit: "Laissons-le là, il pourra toujours se débrouiller ici, il va nous retarder, il ne pourra pas marcher aussi vite que nous. Nous l'avons déjà sauvé et avons fait pour lui plus que nécessaire".
Mais un partisan chrétien s'exclama: "Si nous le laissons derrière, nous sommes condamnés. Je ne partirai pas sans lui!" A contrecœur, il fut donc décidé de l'emmener.
C'était une nuit terriblement glaciale. Une tempête de neige s'était levée. Le chef partisan avait vu juste: le vieil homme ne pouvait garder le rythme, monter et descendre les collines enneigées; plus d'une fois, ils furent obligés de ralentir pour attendre le rabbin, ils durent même le porter.
Bien qu'il fût très frêle, il représentait néanmoins un fardeau pour ces hommes vigoureux qui regrettaient en silence de l'avoir emmené.
Enfin, à une heure du matin, ils arrivèrent près de la cabane qui était maintenant à moitié enterrée sous la neige. Dès que le soldat sortit, les partisans pratiquement gelés, se précipitèrent dans la cabane, chacun s'efforçant d'être plus près du feu pour réchauffer ses membres engourdis par le froid.
Mais le vieux rabbin ne resta pas longtemps près de la cheminée. Il ouvrit un petit sac et en sortit une vieille 'Hanoukia toute rouillée. Puis il prit un morceau de ficelle comme mèche, et quelques gouttes d'une petite bouteille d'huile qu'il avait miraculeusement emportée.
Stupéfaits, les partisans observèrent le rabbin sans rien dire.
D'une voix à peine audible, après avoir placé la 'Hanoukia devant la fenêtre, il récita les trois bénédictions et commença à chanter "Maoz Tsour", ce chant qui rappelle les miracles que D.ieu fit pour le peuple juif tout au long de son histoire.
C'en était trop. Le chef du groupe sortit de ses gonds et hurla: "Eteignez cette lumière. Vous allez ramener le soldat russe en catastrophe, et il va tous nous tuer!" Le rabbin expliqua que c'était le premier soir de 'Hanouccah, qu'il n'éteindrait pas la flamme qui ne devait durer, après tout, qu'une demi-heure.
A ce moment, la porte de la cabane s'ouvrit violemment. Un immense soldat soviétique entra, leur intimant l'ordre de mettre les mains en l'air.
Il s'approcha du rabbin et lui dit: "Moi aussi, je suis Juif. Cela fait six ans que je n'ai pas vu de Menorah". Il embrassa le rabbin et se mit à pleurer: "Après avoir quitté la cabane, je me suis rappelé que j'avais oublié des rapports dans un tiroir. Je suis retourné et j'ai vu cette petite lumière. Je n'en croyais pas mes yeux: une "'Hanoukia", dans ce no-man's land, en pleine tempête, dans ma cabane!"
Il rassura ses "hôtes", offrit à chacun un grand verre de vodka et ajouta: "Vous avez de la chance que c'était moi qui était de garde. Un autre soldat vous aurait tous tués. Je vais vous montrer comment traverser la frontière. Souvenez-vous de moi, rabbin, priez pour que j'ai moi aussi un miracle de Hanouccah et que je puisse rejoindre ma famille sain et sauf".
Stupéfaits et rassurés, les partisans suivirent le soldat, passèrent sans difficulté la frontière et une fois de l'autre côté, chacun prit un autre chemin. Le vieux rabbin se rendit en Israël et raconta son histoire à d'autres survivants qui, à leur tour, me la racontèrent quand j'étais petit.
Rav Elie Hecht
traduit par Feiga Lubecki
'Hannoucah dans la forêt
Un des 'Hassidim du Rabbi Rachab, du nom de Reb Peta'hia de Kharson, était présent lors de Sim'hat Torah dans la ville de Loubavitch, et au cours d'une réunion 'hassidique, alors que le Rabbi était réuni avec les 'Hassidim et les jeunes étudiants de Yéchiva, Reb Peta'hia se leva et dit devant le Rabbi Rachab:
"Le Rabbi dit toujours qu'il n'effectue aucun miracle? Je vais vous raconter un.
L'an dernier, j'étais en audience chez le Rabbi, et avant que je sorte le Rabbi m'a dit:
"Tu fais le commerce du bois, et certaines fois ton travail t'oblige à passer plusieurs jours successifs dans la forêt, n'est-ce pas? Alors, lorsque les jours de 'Hanouccah arriveront, n'oublie pas de prendre avec toi des bougies de 'Hanouccah. Tu prendras des grandes bougies.
Effectivement, lorsque 'Hanouccah est arrivé, j'ai eu besoin de séjourner dans la forêt.
Je me suis souvenu des paroles du Rabbi et j'ai pris avec moi de grandes bougies de 'Hanouccah. Lors de mes déplacements dans la forêt, des brigands m'ont attaqué, m'ont dérobé tout mon argent et m'ont dit qu'ils allaient me tuer. J'ai commencé à les supplier pour qu'ils me laissent vivre, mais ils ont dit que ce n'est pas possible, car s'ils me libèrent je les dénoncerais certainement à la police et ils se feront attraper… et c'est pour cela ils sont obligés de me tuer.
Toutes mes tentatives de les convaincre furent vaines, et je voyais que c'était ma fin. Je leur ai demandé de juste me laisser prier Arvit, la prière du soir, et d'allumer les bougies de 'Hanouccah avant de mourir, car aujourd'hui c'est notre fête de 'Hanouccah et nous devons allumer les bougies. Et dans leur "grande bonté" ils m'ont laissé prier et allumer mes longues bougies.
Alors que les bougies, un seigneur des environs passa dans la forêt, et lorsqu'il vit de la lumière, il détourna son chemin pour voir ce que signifiait cette lueur inattendue au cœur de la forêt. Dès qu'il me vit attaché à un arbre devant mes bougies, il comprit ce qui était en train de se passer, dégaina son pistolet et eut vite fait de s'emparer des brigands et de me libérer. "
Et Reb Peta'hia de conclure: "N'est ce pas un miracle opéré par le Rabbi…?"
Le Rabbi ne lui laissa pas le temps de poursuivre et ordonna aux élèves de chanter…
Aharon ALTABE
Le Chabbat de Reb Moïché.
(Un conte proposé par Sarah)
"Lekha Dodi Likrat Kala, penei Chabbat Nekabèla ...". Sur Planète J. la mélodie résonnait étrangement. Reb Moïché, premier cosmonaute d'Eretz J. , faisait le point en se préparant à accueillir Chabbat.
Quel Chabbat diriez vous à quelques millions de kilomètres de la planète, avec pour tout repère, parmi les instruments scientifiques de toutes sortes, la bonne vieille montre que Reb Moïché avait reçue pour sa Bar Mitzvah
... Tic Tac ... Bientôt Chabbat ... Tic Tac ... A Jérusalem, c'est bientôt Chabbat.
Jérusalem ? Reb Moïché songeait à tous les pilpoulim qui avaient précédé son départ. Fallait il ou non envoyer une sonde habitée sur Planète J. ?
L'avis des Rabbanim, après de longues discussions, avait été décisif: "Planète J. , la dernière planète du système solaire à ne pas avoir été explorée n'échappait pas à la règle: le monde entier a été créé pour que la Torah y soit pratiquée. Il est donc de la volonté divine qu'un juif débarque sur la planète nouvellement découverte, y exprime la grandeur de D. , le loue par des bénédictions, y répande son nom par l'accomplissement des Mitsvoth".
Chose faite pour Reb Moïché, choisi pour ses connaissances talmudiques, sa grande sagesse, l'énergie qu'il avait su déployer lors des campagnes destinées à faire connaître aux juifs du monde entier leurs lois, puis, lorsque le monde était arrivé au stade de la pacification des Fils de Noa'h, par les efforts faits pour répandre la connaissance des lois que D. avait prescrites aux Peuples (Voir épisodes précédents).
Reb Moïché se souvenait encore de cette décision du Grand Beth Din de Jérusalem, relayée instantanément par toutes les radios et réseaux électroniques du monde, traduite dans les soixante dix langues des Peuples par Avèdix, l'ordinateur du Merkaz de Jérusalem : "C'est une Mitsvah que d'explorer Planète J. , d'y envoyer un juif vêtu du Talith, couronné des Tefilin, afin qu'il y étudie la Torah et y pratique les Mitsvoth !"
La cabine spatiale avait été équipée de la fameuse bibliothèque aéroportée, celle qui avait été installée jadis dans les avions affrétés par le Grand Beth Din, lorsqu'on avait décidé que pour mettre fin à l'exil et hâter le rassemblement des exilés d'Israël, il fallait que chaque coin de la terre soit parcouru par un Minyan de juifs étudiant et priant afin de ramasser de partout les étincelles de Sainteté qui y restaient encore malgré deux mille ans de service divin en terre d'exil.
Les ingénieurs de Yérouchapolis avaient alors transformé 12 chasseurs rapides en salles d'études. Ainsi en quelques jours, il ne restait plus un point de la terre qui n'ait été survolé par un de ces avions à l'emblème des douze tribus, où les élèves relisaient le Tanakh, le Talmud, le Choul'han Aroukh et les textes mystiques ... à un niveau bien plus élevé que d'habitude.
Voici donc notre Reb Moïché accomplissant le grand projet. Mais que pourrait donc signifier Chabbat dans cette étendue désertique où avait atterri la navette ? Chabbat, ce jour qui préfigure la vie future où "tout est repos et Chabbat éternel" semblait déjà régner sur cette immensité depuis la création.
Ce jour où D. avait cessé de créer lui semblait plus évident, plus proche dans ce chaos désertique que dans le parking de Har Hatsofim quelques minutes avant Chabbat ! N'est ce pas ainsi qu'il avait toujours imaginé le monde, au matin du sixième jour, avant qu'Adam ne vienne faire fructifier la terre ? Ce désert que le monde pourrait redevenir d'un instant à l'autre si l'homme s'y oubliait, s'y croyait seul ... Plus que jamais, sur cet astre lointain, il ressentait l'omniprésence du Créateur de toute chose.
Machinalement, il jeta un coup d’œil sur les compteurs, les manettes, les cadrans, les voyants bien alignés sur le pupitre de commande de son campement, sous cette énorme bulle pressurisée qui lui laissait entrevoir la Terre, là haut, droit devant lui.
Prier vers Jérusalem retrouvait ici un sens. Dans la cabine, il lui avait été bien difficile de s'y retrouver; d'abord, Jérusalem c'était derrière lui, et un juif préfère regarder devant, pas derrière !
Il regarde loin devant lui, vers cet horizon si proche où l'attend Machia'h, prêt à se dévoiler. De plus ce n'est pas très facile de dire Chéma Israël en flottant en apesanteur au-dessus de l'ordinateur de bord, pas plus que faire la Amidah les pieds joints dans le vide avec son lit au-dessus de la tête ... Enfin, revoici Chabbat dans une pesanteur retrouvée ... et qui revient pour lui enlever toutes les pesanteurs de la semaine. Ici les bougies, ici deux 'Halloth, ici je pose mon Sidour, là mon vin ...
Tout en enfilant sa combinaison de Chabbat, Reb Moïché pensait à tout ce petit monde reconstitué sous cette bulle.
Ainsi est le peuple juif: quitterait il sa bulle, la protection divine conférée par la pratique des Mitsvoth, comment pourrait il respirer? Reb Moïché jeta un coup d’œil amusé sur le sas qui séparait son camp de l'extérieur. Le Rebbe lui avait bien recommandé de ne pas refuser un invité, surtout pour le repas de Chabbat.
Il lui avait bien répété, textes à l'appui, que tous les êtres du monde sont des créatures de D. et que la découverte de petits bonshommes de quelques couleurs, matière, nature qu'ils soient ne leur ôterait pas cette qualité et ne viendrait nullement poser de "kouchia" sur notre foi en un D. unique créateur du monde.
Il avait d'ailleurs rajouté en souriant - ah ces sourires du Rebbe ! - que si les hommes n'avaient encore jamais trouvé ces extra-terrestres auxquels ils voudraient tant croire, c'est parce qu'ils n'ont pas encore appris tout ce que le terrestre peut leur enseigner de sagesse et de connaissances supérieures, et qu'ils ne sont pas prêts à supporter le poids spirituel de rencontres avec d'autres formes de vie.
Toutefois l'évolution de ces dernières années et l'imprégnation progressive de la connaissance de D. jusque dans les endroits les plus sombres laissait présager un dénouement prochain, avait il rajouté, songeur. Après avoir tiré quelques bouffées de plus de sa pipe n'avait il pas rajouté "d'ailleurs le véritable domaine extra-terrestre c'est le spirituel, la Rou'hniout à laquelle chaque juif peut arriver, notamment le Chabbat par l'étude de la Torah. Songez combien nous jalousons les anges pour leur proximité de D. alors qu’eux nous envient de posséder la Torah qui seule permet aux créatures une évolution ..."
Reb Moïché venait juste d'ajuster son Shtreimel sur la tête. C'était la seule entorse à la tenue des cosmonautes qu'il avait tenue à imposer aux techniciens de Yérouchapolis. Bien sur, ce n'est pas le vêtement qui fait le juif, c'est avant tout l'intérieur.
Si chacun des gestes à effectuer au cours de cette mission avait été pesé, mesuré, chronométré et filmé, il restait néanmoins que l'intériorité, elle, échappait à toute routine. Au contraire, au fur et à mesure que la mission avait avancé, il avait pu se rendre compte à quel point cette préparation intense avait ôté à ces gestes toute l'importance qu'ils auraient pu requérir pour ne plus favoriser que leur signification et leur vécu.
Chabbat moins deux minutes !
Reb Moïché secoua la tête, de plus en plus songeur. On ne lance pas Chabbat comme on lance une fusée, quand même. A l'horizon, Jérusalem, sur cette petite bille brillante où sa famille l'attend. Il aurait bien voulu rencontrer sur un petit nuage cette Jérusalem d'en haut évoquée par les textes, qui n'attend plus que Machia'h pour descendre atterrir sur la Jérusalem d'en bas, avec à son emplacement le troisième Temple.
Mais Reb Moïché sait qu'elle flotte dans un "là haut" spirituel, où c'est à nous de nous hisser ou de mériter sa concrétisation. Il aurait bien voulu pouvoir annoncer à ses compagnons d'étude restés à la Yéchivah "ça y est, elle arrive, je l'ai vue !", ou leur détailler certains imprécisions des textes après observation de l'architecture du Temple tel qu'il est là haut.
Et le Rebbe, qu'en dirait-il ? A vrai dire Reb Moïché était persuadé que le Rebbe vivait déjà dans l'autre Jérusalem. Pour lui, il suffirait d'ouvrir la fenêtre et respirer dehors pour vérifier que l'odeur du Gan Eden flotte déjà.
N'est ce pas ainsi qu'ont fait tous les Tsadikim en tous temps ? Sortant vêtus de leurs plus beaux habits, ils allaient accueillir Chabbat dans les champs avec leurs élèves, respirer l'odeur de monde futur qui en émane. Ou encore ces Tsadikim sortant sur le bord de la route à la rencontre de Machia'h ... "Lekha Dodi Likrat Kala, penei Chabbat Nekabèla ..."
Deux petites bougies. Baroukh Ata ... Reb Moïché se surprend à entendre la voix de ses filles récitant la bénédiction en même temps que lui. Regard à droite, regard à gauche ... Mais oui, un bruit de porte qui s'ouvre ...
"...Abba, c'est Chabbat maintenant, tu peux nous emmener à la Choule ...?"
Aharon ALTABE
Hannoucah à Dachau
Mordekhaï Ansbecher, un rescapé du camp de concentration de Dachau et témoin au procès d'Eichmann raconte. Dans notre lutte quotidienne pour survivre, un de nos soucis était de conserver la notion du temps: jour ou nuit, jours de la semaine, jours du mois juif, dates des fêtes. De fait, chaque heure passée était noyée dans épais brouillard où il était difficile de se retrouver.
Notre seul soutien était Fischof, le vieux gardien de la synagogue Altneuschule de Prague. Il n'avait pas perdu le sentiment que son travail était consacré au maintien de la tradition juive en tout lieu et toute circonstance, et au premier rang de ce sacerdoce veiller à la garde du temps juif: Chabbat et fêtes.
C'est ainsi qu'un jour, au retour d'une journée éreintante de travaux il nous lança énigmatiquement " 'Hannoucah".
Autour de nous tout était obscurité et désolation. Notre quotidien était un réveil à 5 heures du matin, quitter nos baraquements au camp 4 de Kaufring pour rejoindre par un chemin interminable les galeries souterraines des abris des avions allemands pour lesquels nous construisions de gigantesques réservoirs de carburants.
C'est à dix heures du soir que revenions, les pieds gelés vers nos sombres baraquements. C'est ce moment là qu'avait choisi Fischof pour nous avertir: 'Hannoucah dans une semaine, préparons-nous!
Il lut dans notre regard notre réaction: 'Hannoucah!? Et alors.comment se préparer à 'Hannoucah dans un tel enfer? Mais il avait son plan.
Réunis au milieu de la nuit sur les planches qui nous servaient de lit, il nous annonça:
"Demain, c'est le jour de la distribution de notre ration hebdomadaire de margarine. Gardons là pour l'allumage des bougies".
Pour nous les jeunes, regroupés autour de ce vieillard qui était notre "ner tamid" la lampe toujours allumée qui éclaire le Temple, il n'y avait pas d'hésitation. Même si se priver de ces dix grammes de margarine par semaine.
Entendez-vous? Dix grammes par semaine! C'était notre seul apport énergétique à part la ration de pain et d'eau bouillie appelée soupe, pour nous travailleurs de force. S'en priver était un gros effort, sinon un danger mortel.
Il y avait à peine de quoi tartiner un morceau de pain, mais le peu que nous en mangions répandait dans tout le corps une force physique et un réconfort inouï. Mais notre mentor avait décidé.
"Mais comment garderons-nous la margarine durant les six jours qui nous restent?" s'inquiéta l'un de nos compagnons.
"A vrai dire, je ne sais pas, mais nous allons bien trouver un moyen de la mettre à l'abri des regards indiscrets ou affamés de nos compagnons, et surtout à l'abri des fouilles du kapo." répondit Fischof. "J'ai une idée" leur dis-je. "J'ai mis de côté deux pommes de terre, ne me demandez pas d'où ni comment. On peut les évider et y conserver la margarine. Je saurai où les cacher".
Le … sacrifice que je faisais mit en confiance mes compagnons. Chacun se fit un devoir de gratter la margarine tartinée sur son pain et de me confier ce trésor en garde. C'est à ce prix qu'il y aurait 'Hannoucah dans la baraque 4.
Le soir de 'Hannoucah arriva. Fischof ne tenait plus en place. Son regard brillait d'une lueur venue d'ailleurs, d'un monde où toutes ces souffrances n'existaient pas.
Notre procession de retour ce soir là ne dura que quelques instants, tant ces heures d'effort et de marche n'étaient qu'une préparation à un événement unique. Fischof ne cessa de chanter la mélodie de Maoz Tsour, et chacun imaginait déjà le vieux Chamach allumant la première bougie de 'Hannoucah.
J'avais certes un souci: dans quoi allions nous faire brûler notre "bougie"? Je posai discrètement la question à Fischof tout en marchant. "Pas de souci" s'écria-t-il avec une tranquillité à l'abri de ce genre de question sournoise.
"Tu n'as pas compris? On va laisser la graisse dans les pommes de terre, et elles nous serviront de bougies! Comme ça, on ne perdra pas une goutte de graisse."
Il y eut un grand rassemblement ce soir là, à minuit, dans le camp numéro 4. Ce ne fut pas à coups de sifflets et de jurons, de coups et de menaces. La première bougie nous rassembla tous, sans bruits, autour de Fischof. Notre bougie était placée sur la plus haute planche de la baraque. Fischof récita les bénédictions puis alluma la bougie. Tous entonnèrent après lui le chant "Hanérot hallalou, ces lumières là …"
Nous n'avions décidément rien perdu au change. Cette lumière nous revigora bien plus que nos dix grammes de margarine. Elle diffusa dans nos cœurs, répandit dans nos veines une vitalité, une joie de la Mitsvah accomplie qui nous joignait à l'infini à toutes les générations présentes et passées du Peuple Juif qui ont tout donné pour que la Torah perdure au-delà des nos persécuteurs. Et elle est toujours là, vivante et vivifiante.
Traduit de Si'hat Hachavoua
N° 831, Hannoucah 5763
Une Ménorah attendue
Dans la grande synagogue de Vilna, on voyait autrefois une grande et belle Ménorah, en bronze, posée sur un large socle de pierre. Elle était disposée à la droite de l'Arche des Rouleaux de la Loi, et sa forme et ses dimensions évoquaient la Ménorah du Temple, avec ses calices, ses vasques et ses pommeaux.
Lorsque la Première Guerre Mondiale éclata en 1914, la Ménorah fut emportée par l'Armée Russe à Moscou parmi d'autres objets saints, et sa trace s'est perdue dans les trésors royaux et les oubliettes de l'histoire soviétiques.
Si la Ménorah s'est perdue, son histoire n'a pas été oubliée.
C'était il y a quelques 300 ans en arrière. A l'époque, le Rav de la ville de Vilna, -la petite Jérusalem comme on l'appelait, était Rabbi Yechoua Heschel.
En quelques dizaines d'années, Vilna avait été prise et reprise par les Russes -Le Grand Pierre-, La Suède, la Pologne -L'Empereur Frédéric Auguste. Le seul point commun entre tous ces maîtres était leur avidité.
Chacun avait imposé aux Juifs de la ville un impôt particulièrement élevé, et la communauté juive en sortit exsangue.
La situation était telle, que le gouvernement avait pris en gage la Grande Synagogue, fermée jusqu'au paiement de l'impôt réclamé.
On peut facilement imaginer la souffrance des juifs, qui n'avaient plus d'endroit où se rassembler pour déposer devant D.ieu les nombreuses prières qu'ils avaient à faire pour sortir d'une si mauvaise passe. Puis la rumeur s'amplifia: la nuit, à minuit, on entendait dans la synagogue des pleurs et des gémissements.
Elle passa de bouche en bouche, fut le sujet de toutes les conversations et imaginations débordantes dans al communauté, et même chez les Gentils de Vilna. Bien peu savaient qu'un souterrain secret menait de la cave d'une maison du quartier jusque dans les combles de la synagogue, et qu'un petit groupe de fidèles avait décidé de jeûner deux fois par semaine et de venir chaque nuit y réciter le "Tikoun 'Hatsot" prière sur la perte de notre saint Temple de Jérusalem … et sur la perte de la synagogue.
Le Gouverneur de la ville voulut en avoir le cœur net. Un soir, entouré de ses serviteurs et gardes, il vint mener son enquête. Après avoir vérifié que les portes de la synagogue étaient bien fermées comme il l'avait ordonné, il attendit minuit.
Il fut surpris par les murmures vite devenus sanglots qu'il entendit à l'intérieur. Il fit poser une grande échelle le long du mur Est, pour accéder à un vitrail.
Quelle ne fut pas sa surprise d'apercevoir à l'intérieur de mystérieuses formes blanches au pied de l'Arche Sainte, éclairées par une bougie.
Pâle et choqué, le Gouverneur descendit de l'échelle, remonta rapidement sur son cheval et s'enfuit vers son palais. Il était poursuivi par ces fantômes qu'il avait vus dans la synagogue verrouillée, et passa la nuit à se débattre avec ses visions.
Au petit matin, il fit mander les chefs de la communauté, et leur fit savoir qu'il était prêt à leur rendre la synagogue, pourvu qu'ils acceptent de laisser en gage un objet de culte de forte valeur.
Après s'être entretenu avec le Rav de la ville, il fut décidé de laisser au Gouverneur la grande et ancienne Ménorah de bronze, en attendant des jours meilleurs. Le Gouverneur fut ravi de leur choix, et la fit placer dans une de ses galeries, à proximité des statues d'art qu'il aimait collectionner. Mal lui en prit. Les bougies qu'on y allumait dégageaient une épaisse fumée qui noircit rapidement ses œuvres d'art, et, non sans frayeur, il décida de la déplacer pour la mettre dans un endroit à part.
Vint 'Hannoucah. Privé de leur antique Ménorah, les juifs de Vilna utilisèrent une autre Ménorah. Dès le premier allumage, le feu vacilla sur les bougies, et les lumières ne brûlèrent même pas le temps qu'il aurait fallu. On changea les bougies, sans plus de réussite.
A croire que seule la vieille Ménorah convenait à cet allumage. C'est d'ailleurs ce que comprirent le Rav et les chefs de la communauté, et il fut décidé que tout serait mis en œuvre pour "délivrer" rapidement la Ménorah.
Il leur fallut six années pour amasser la rançon! Six années durant laquelle la communauté ruinée économisa sou après sou (Zloty? Kopeck? Couronne?) pour satisfaire la cupidité des nouveaux maîtres de la ville. Le premier soir de 'Hannoucah 5493 (1732) fut un soir de fête particulière pour les juifs de Vilna.
Au cours d'un grand défilé et avec la fanfare locale (klezmer!) la Ménorah fut rapportée de chez le Gouverneur jusqu'à sa place dans la Grande Synagogue. Ce soir là, tous les juifs se réunirent autour de leur Rabbin pour voir l'allumage de la vieille Ménorah
Bnéi Issakhar
Le Rav Tsvi Elimelekh de Dinov l'auteur du "Bnéi Issakhar" était le petit-fils de la sœur de Rabbi Elimelekh de Lizinsk, le "Noam Elimelekh".
Lorsque sa mère était enceinte, elle vint voir son saint oncle, pour lui demander de la conseiller sur le nom de l'enfant à naître.
Rabbi Elimelekh lui répondit: "Tu auras un garçon, et tu l'appelleras "Elimelekh".
La jeune maman prit peur. Elle crut y voir un signe de la proche disparition de son saint oncle, car sinon pourquoi aurait-il demandé que l'enfant porte son nom? Rabbi Elimelekh la rassura.
"Si c'est ainsi, appelle le Tsvi Elimelekh".
Ainsi naquit peu de temps après Tsvi Elimelekh. A vrai dire, Rabbi Elimelekh n'était satisfait.
"Si tu l'avais appelé de mon nom, il aurait eu toutes mes qualités. Comme ça, il sera à moitié comme moi". L'enfant grandit, tant en âge qu'en progrès dans l'étude de la Torah et acquit vite la réputation d'être un génie. Il devint un Saint, que des milliers de personnes venaient consulter de loin. Il rédigea de nombreux ouvrages de Torah, dont le fameux "Bnéi Issakhar" sur les fêtes.
Encore jeune, il se trouvait une fois chez son Maître, le Saint "Voyant" de Lublin. Durant tout le chemin, il s'était questionné: "pourquoi ai-je une telle perception de la fête de 'Hannoucah? Cela ne peut pas être dû à des ancêtres Hasmonéens, puisqu'ils étaient Cohen et je ne suis pas Cohen. D'où me vient donc ce sentiment d'élévation particulière que j'ai durant 'Hannoucah?"
Il se résolut à poser la question à son Maître lorsqu'il arriverait à Lublin. Il aurait sans aucun doute une réponse claire.
Une fois chez le "Voyant", avant même qu'il ait ouvert la bouche, le "Voyant" lui déclara:
"Sache que ton âme tire son origine de la tribu de Issakhar. Si tu ressens un supplément de sainteté lorsque 'Hannoucah arrive, c'est parce tu faisais partie des tribunaux érigés par les 'Hasmonéens, car les membres de cette tribu étaient connus pour leur érudition".
C'est la raison pour laquelle Rabbi Tsvi Elimelekh nomma son livre sur les fêtes "Bnéi Issakhar".
Jeff revient à la maison
Ephraïm.
Un gentil garçon, fils d'une famille Cohen qui demeurait dans un petit appartement du East Side de Manhattan.
Malgré la précarité et les difficultés énormes que cela leur posait, les parents d'Ephraïm faisaient tout pour continuer à observer la Torah dans cette Amérique d'il y a soixante dix ans. Ils étaient originaires de Vilna, qu'ils avaient quitté à la fin de la Première Guerre mondiale pour chercher un horizon nouveau sous les cieux du Nouveau Monde.
C'était une petite famille: Ephraïm et ses deux sœurs. Une famille unie, que le papa veillait à entourer de valeurs juives. Ephraïm était certes ballotté entre la stricte éducation qu'il recevait à la maison, et le nouveau monde que lui laissait entrevoir l'école communale, la Public School qu'il fréquentait quotidiennement.
Rien d'étonnant à ce que peu à peu, l'enfant devenu adolescent soit attiré par le mode de vie américain. Ce ne fut pas simple, et son père fit tout pour retenir Ephraïm dans le cadre de la vie familiale axée sur les valeurs juives. Mais…
Vint le jour où Ephraïm se sentit suffisamment grand pour vivre sa vie. Il quitta la maison, y laissant toutes les valeurs auxquelles sa famille était attachée. Plus, il devint un ennemi acharné de tout ce qui de près ou de loin ressemblait à du judaïsme.
Il ne devait plus ressembler à un juif, et rien ne devait laisser transparaître cette origine. Il quitta aussi New York pour Binghamtown, une ville du centre de l'Amérique où il devint Jeff Staine. Le dernier lien était coupé.
C'est là qu'il connut sa femme, une américaine "américaine", et donna naissance à des enfants "américains". Il eut bien un jour des velléités de retrouver sa famille, mais la conversation téléphonique fut des plus brèves: "nous avons fait les "chiva" (pris le deuil) pour toi, je ne veux plus entendre parler de toi" lui déclara son père d'une voix méconnaissable, avant de raccrocher.
Vingt années passèrent ainsi. Une voix lointaine l'avertit un jour du décès de son père. Le temps d'attraper un avion, et Jeff se trouva une ultime fois auprès des siens. Plus jamais il ne revit sa mère, ses sœurs, ses neveux.
Jeff revint à sa maison, sa femme, ses enfants, sa routine. Plus rien ne le liait à ce passé poussiéreux. S'il lui arrivait de se souvenir de son enfance, c'était des images fugaces, sans attrait ni émotions.
Jeff devint grand-père. Un grand-père gâté de bons enfants américains typiques. Tout laissait à penser que Jeff était désormais dans la bonne voie, la dernière ligne droite vers une vieillesse heureuse et sans histoire.
Binghamtown, fin décembre. Le centre commercial de la ville est plein de badauds, venus faire du shopping pour les fêtes de fin d'année, et pourquoi pas aussi pour 'Hannoucah, qui est quasiment une fête civile américaine. Au milieu du hall central, les employés ont dressé une gigantesque Ménorah, sous les directives du Rav Aharon Slonim, délégué du Rabbi de Loubavitch dans la ville et avec la bienveillance de la direction du centre commercial, heureuse de participer à un événement communautaire qui ne manque pas de rallier du monde. Pensez: des centaines de personnes vont se déplacer, la télévision sera là et derrière les écrans des centaines de milliers de spectateurs, la réputation du centre ne peut qu'en sortir grandie.
A l'heure dite, le Rabbin monta sur un élévateur, prit la parole pour saluer le public, expliquer le sens des bougies de 'Hannoucah, la signification de leur allumage en public. Il expliqua longuement comment ces petites flammes peuvent repousser l'obscurité spirituelle de l'exil, le sens de l'exil de l'âme juive dans un carcan où il n'y a pas place apparemment pour l'amour et la pratique des Mitsvot de la Torah. Ces bougies qui avaient témoigné du miracle que D.ieu fit dans le Second Temple témoigneraient aussi du miracle de la persistance du Peuple Juif au fil des générations jusqu'à la fin de l'exil. Une vague d'applaudissements salua l'allumage.
Les caméras fixèrent l'événement, transmis en direct puis rediffusé sur les chaînes locales dans les éditions du soir.
Jeff était à la maison, zappant d'une émission à l'autre lorsqu'il aperçut à l'écran un visage de juif religieux, chapeauté et barbu, en plein milieu du centre commercial de la ville, allumant les bougies de 'Hannoucah.
Il serait bien passé à la chaîne suivante, mais … son doigt ne suivit pas. Il regardait avec curiosité ce rabbin, tandis que des souvenirs l'envahissaient.
Il revit le East Side de son enfance. Il revit son père allumant les bougies de 'Hannoucah, avec toutes les émotions qui l'accompagnaient. Il avait l'impression de sentir les odeurs familières de la petite maison de son enfance.
Il écouta avec attention le discours du Rav: "les bougies symbolisent les bonnes actions. Chaque bonne action illumine son entourage, repousse l'obscurité spirituelle qui peut se trouver au fond de chacun".
Le présentateur était déjà passé au sujet suivant, mais Jeff n'écoutait plus. Il était ailleurs, laissait le présentateur s'agiter tout seul sur l'écran. Son esprit, ses pensées, son cœur étaient bien loin de tout ça.
Il dormit peu cette nuit là. Il se retourna sans cesse sur son lit, cherchant le repos … de son esprit.
Plus il refoulait ces images de son passé, plus elles s'affirmaient, martelaient sa tête, s'agrippaient à son cœur.
Le lendemain après midi, il trouva un prétexte pour aller au centre commercial. Sa femme l'accompagna avec deux des petits enfants. Au même endroit, à la même heure, le Rav Aharon Slonim grimpa sur le podium au milieu de milliers d'acheteurs. Tous s'arrêtèrent pour observer l'événement.
"Baroukh Ata … Acher kiddechanou bemitsvotav vetsivanou lehadlik ner 'Hannoucah".
Bien peu saisissaient les mots et leur sens. Mais Jeff se souvint de la suite "chéassa nissim laavoténou … qui a fait des miracles pour nos ancêtres …"
"Nos ancêtres? J'ai des ancêtres! Mais qu'ai je fait à mes ancêtres? Où ai je conduit ma descendance? Qu'ai je fait à mon père? Quelle vieillesse malheureuse je lui ai offerte!"
Des larmes commencèrent à couler de ses yeux. Il eut le temps d'envoyer sa femme et les petits chercher je ne sais quoi à l'autre bout du magasin, et s'approcha rapidement de Rav Aharon Slonim.
"Aide-moi, je t'en supplie, je ne peux plus supporter cette situation!"
Le jeune Rabbin comprit en peu de mots le dilemme de Jeff.
"Tu comprends que je ne peux pas me séparer de ma femme, de mes enfants, mes petits enfants. Donne-moi un conseil, que faire?" Il se remit à sangloter.
Le lendemain, Jeff vint visiter le Rav à son domicile. Laissons le conter la suite:
"Le Rabbi nous a appris qu'un contact avec un autre doit commencer avec un geste concret. Je lui proposai de mettre les Tefilin. Il accepta avec joie. Il lui prit un long moment pour prier, s'isoler et parler avec D.ieu.
En les enlevant, il me raconta qu'il avait mis les Tefilin durant cinq ans après sa Bar Mitsvah. Mais à contre cœur, avec la sensation d'avoir un fardeau sur la tête. Juste pour faire plaisir à mon père. Je viens de les mettre avec une sensation nouvelle. La joie de renouer avec mon père et le judaïsme.
C'est ainsi qu'à 70 ans, Jeff, Ephraïm, se remit à mettre les Tefilin, à renouer avec les commandements de D.ieu et la Torah.
Tout n'est pas résolu, loin de là. La question familiale reste un problème douloureux, tragique, qui prendra du temps à aboutir.
Mais ce moment là arrivera. Ephraïm a commencé avec courage et résolution son retour "à la maison", vers un judaïsme authentique. Il regrette amèrement toutes ces années qui ont passé si loin de ce qu'il aurait dû être, mais ne perd pas l'espoir d'arriver un jour à un retour intégral à la maison de son père…"
Traduit de Beth Machia'h, N° 304, 25 Kislev 5761.
Les sirènes de Hannoucah
Niederharsll.
Dans ce camp de travail situé au cœur de l'Allemagne, nous étions un groupe de juifs tassés dans un même block.
A quelques jours de 'Hannoucah, j'eus l'idée folle qu'il fallait marquer le coup et "faire" 'Hannoucah au nez et à la barbe de nos oppresseurs.
J'en parlai à Bentsion -"Bentsi"- le boute en train de l'équipe.
"Excellent!" D'abord, nous aurons accompli une Mitsvah, et de deux, ça va remonter le moral des gars de la baraque, ils en ont bien besoin."
Il n'y avait plus qu'à trouver de l'huile, et un endroit discret pour l'allumer. A vrai dire, l'huile ne manquait pas à l'usine où nous travaillions, mais de là à en rapporter chez nous …
Le risque était grand. A vrai dire, dans notre situation, nous étions entièrement dispensés d'allumer les bougies de 'Hannoucah. Mais la plupart d'entre nous avait cette fibre juive qui nous poussait à risquer le tout pour le tout afin de maintenir vivante la flamme du judaïsme qui s'accrochait à nos cœurs dans ces circonstances extrêmes. Et puis, un tel acte de "résistance" ne pouvait que réchauffer nos corps et nos âmes, épuisés par ces années de guerre, de privation, de travaux forcés, d'horreurs quotidiennes, nous aider à passer sur toutes les épreuves qui nous attendaient encore.
Nous décidâmes de tirer au sort pour répartir les tâches, et les risques. Le premier aura à trouver de l'huile, le second la planquera jusqu'au dernier moment, et ainsi de suite. Moi, le cinquième, je devais m'occuper des mèches.
Grinwald, le premier fut remarquable. Il réussit à convaincre son chef d'équipe exécré que sa machine marcherait bien mieux s'il la graissait tous les jours. C'est ainsi qu'il reçut un flacon d'huile, et de la meilleure, qui avait sa place dans sa trousse à outils le plus officiellement du monde.
Pour ma part, j'avais arraché quelques fils de ma blouse pour confectionner des mèches, et tous les autres remplirent leur rôle à merveille, et lorsque tout fut prêt le premier soir de 'Hannoucah, toute la chambrée se rassembla pour manger la soupe.
C'est là qu'il fallut bien se rendre à l'évidence, nous avions oublié le poste "allumette" dans notre planning. Bentsi décida que chacun devait lui donner une cuillère de sa ration de soupe. Il courut ensuite à la baraque voisine, où il échangea ses cinq rations de soupe contre une cigarette, puis à la cuisine où le responsable lui prêta une boite d'allumettes en échange d'une cigarette, sans trop poser de questions. Vint le moment des bénédictions, puis de l'allumage. La bougie avait été placée sous mon "lit".
Religieux comme non religieux avaient tenu à prendre part à l'événement. Tous s'unirent dans une sourde mélodie de 'Hannoucah, bien que chacun soit dans un lointain rêve: celui ci avec sa femme et ses enfants, celui ci dans sa Yéchivah, celui là chez ses parents, visionnant des images d'un passé à l'avenir incertain. Qui ne pleurait pas?
Patatras, en un instant nos rêves s'évanouirent.
"Garde à vous!"
Le commandant du camp venait de rentrer dans notre baraquement, pour une de ces visites surprises dont il avait l'habitude. Comme toujours à la recherche d'un prétexte, aussi futile soit il pour faire usage de la cravache dont il frappait parfois son chien, et plus souvent les Juifs.
Que se passe-t-il ici? Je sens une odeur d'huile brûlée?
Je sentis mon cœur cesser de battre. Je donnai un dernier coup d'œil à ma petite bougie qui brûlait sous mon lit, persuadé que c'était mon dernier coup d'œil. Le commandant avait commencé à parcourir la chambre, entre les rangées de lit, à la recherche de l'objet du délit. J'aurais pu me baisser pour l'éteindre, mais le chien aurait été plus rapide que moi et m'aurait sauté dessus.
Mes compagnons étaient pâles, et le commandant avançait en dévisageant leur regard terrorisé. Encore quelques instants, il arriverait devant mon lit, et plus rien ne pourrait me sauver.
Et soudain la sirène se mit à sonner. Alerte aérienne! Le regard du commandant se figea en un instant, les lumières du camp s'éteignirent, et il se rua dehors en hurlant "je vais continuer l'inspection, je vais continuer l'inspection".
J'avais déjà éteint la bougie, avant de quitter la baraque, selon les instructions en vigueur.
Ce fut pour nous un miracle de 'Hannoucah clair. La main de D.ieu s'était manifestée jusque dans ce camp de Niederharsll.
Dans le froid glacial de cette nuit sous les bombardements alliés, je ne pus m'empêcher de répéter au fond de moi la formule de la bénédiction "Celui Qui a fait des miracles pour nos ancêtres, en ces temps là et à notre époque!"
Traduit de "Si'hat Hachavoua", n° (585)
Raconté par Ch. B. Unsdorfer, Londres, 5721.
Hannoucah, Téhéran, 1980
Rabbi Avraham Mordechaï Hershberg, ancien Grand Rabbin de Mexico raconte.
La première fois que j'ai rencontré le Rabbi de Loubavitch, ce fut du vivant de son beau-père, Rabbi Yossef Its'hak.
J'étais venu demander conseil sur un poste rabbinique qu'on m'avait proposé à Chicago. Il me conseilla de m'adresser à son gendre. Nous passâmes près d'une nuit à discuter, sautant d'un sujet à l'autre, d'un volume talmudique à l'autre. Je fus époustouflé par la profondeur des connaissances du Rabbi, et la clairvoyance qu'il possédait des choses du monde.
Je ne manquai pas par la suite de le consulter sur bien des projets.
En 1980, après la prise en otage de l'Ambassade des Etats Unis en Iran, Rabbi Hershberg fut appelé à participer à un projet d'intérêt public en Iran. Alors que de nombreux amis tentaient de le détourner de cette aventure risquée, le Rabbi l'encouragea. "Partez tranquille, soyez assuré que vous allumerez les bougies de 'Hannoucah en Iran"
Ces derniers mots ne manquèrent pas de l'intriguer. Il n'entrait pas dans ses plans de passer 'Hannoucah en Iran, et si cela devait se faire, il n'était pas prévu de manifestation publique pour 'Hannoucah!
Tout devint plus clair par la suite. Sa mission en Iran prit plus de temps que prévu. Temps durant lequel il eut de nombreux contacts avec des officiels iraniens. Il apprit ainsi qu'il y avait six juifs parmi les otages américains de l'Ambassade, et il demanda la permission de pouvoir allumer les bougies de 'Hannoucah avec eux.
"Puisque nous avons permis à un prêtre de rencontrer les otages à l'occasion des fêtes, nous vous le permettons aussi."
C'est ainsi qu'eut lieu un allumage de 'Hannoucah dans l'ambassade assiégée, grâce à l'intervention de Rabbi Hershberg.
Un Hannoucca si peu Cacher
Notre histoire commence en 1836 dans une bourgade de Pologne.
Elle va nous faire partager la vie juive de l'époque: amour de la Torah et de ses Commandements, fréquentation des Sages de l'époque, amour de la Terre d'Israël. Ce sont ces valeurs éternelles du judaïsme que Moché Noa'h va nous faire partager, sous la plume de M. Guets, auteur de "Yérouchalaïm chel Maalah".
L'accueil
Ce Roch 'Hodech 1 Sivan de l'année 5596 (1836) était un jour de fête à Lomzhe, en Lithuanie. La ville entière semblait sereine et digne. L'ambiance des grands jours régnait derrière les fenêtres largement ouvertes des maisons de la ville. On apercevait à l'intérieur des nappes blanches, comme on en utilise d'habitude à Pessa'h,(pâques) étendues sur les tables, des parures de Chabbat recouvrant les fauteuils.
Plus étonnant encore, les maisons étaient vides! Qu'était il donc arrivé aux habitants si calmes de Lomzhe?
De fait, hommes femmes et enfants étaient tous sortis accueillir un invité de marque, Gaon (grand érudit) dans sa génération, Rabbi Akiba Eigger, venu pour une courte visite dans la ville.
Un des témoins de cette journée a noté dans son journal:
"C'est par centaines que les habitants de Lomzhe et des environs sont venus à la rencontre de Rabbi Akiba Eigger, qui arriva dans un splendide carrosse attelé à quatre chevaux. Un frêle personnage, revêtu d'un manteau de soie, un bonnet de fourrure sur la tête apparaissait modestement dans le carrosse. J'ai encore aujourd'hui le souvenir de ce visage noble et doux, ce je ne sais quoi que l'on ne trouve que chez les Grands et qui exprime la grandeur et la finesse de leur âme. Telle fut l'impression de tous ceux qui se pressaient autour de lui, en retenant leur souffle.
Nous étions là des centaines à le voir descendre du carrosse et gravir les quelques marches du perron, s'arrêter pour adresser à la foule un léger sourire, empreint d'amour. Tous étaient tournés vers lui avec un grand respect.
L'un des hommes s'écria "Baroukh haba" (bienvenue) et tous répétèrent après lui. Saisies d'émotion, les femmes se mirent à sangloter."
Il n'y a certainement pas d'exagération dans cette description d'époque: qui, de tous les habitants de Lomzhe n'était pas venu sur cette grande place à l'entrée de la ville? Les Bné Torah (Sages, étudiants de la Torah) avaient fermé leurs livres, les commerçants avaient abandonné leurs échoppes, et les femmes avaient déserté leurs cuisines pour venir ici leur bébé dans les bras, tous ensemble pour manifester leur respect au Grand de la Torah, le Maître de la génération.
L'émotion, joie et larmes, fut à son comble lorsque le Rav tendit la main pour saluer grands et petits. Les mères se pressaient sur le bord de l'allée pour que le Rav pose ses mains sur la tête de leur enfant et le bénisse. A tous, le Rav murmurait "que D. vous rajoute des bénédictions, à vous et à vos enfants" (Psaumes 115, 14).
Rabbi Yéro'ham Fichel Perlov, auteur d'un commentaire sur le Livre des Commandements de Rabbi Saadia Gaon, qui fut l'un des grands Maîtres à Jérusalem aimait raconter qu'il était l'un de ces enfants qui eurent le mérite d'être bénis par Rabbi Akiba Eigger qui avait posé les mains sur sa tête.
Tu ne te déroberas point de ton proche...
Les riches de la ville rivalisaient entre eux pour avoir l'honneur d'accueillir et d'héberger le Rav durant son séjour dans la ville. On avait même convenu que l'on tirerait au sort pour savoir à qui reviendrait ce mérite. Toutefois, on apprit que Rabbi Akiba Eigger avait décidé qu'il irait chez un membre de sa famille qui habitait en ville.
Qui donc était ce proche? Les chefs de la communauté se renseignèrent auprès de leur illustre invité, sans succès. Après beaucoup d'insistance, le Rav le nomma: c'était un des mendiants, toujours assis au fond du Beth Hamidrach. Les notables esquissèrent une grimace: un Gaon de cette dimension allait visiter une grande ville juive comme Lomzhe pour y être accueilli dans la maison d'un juif pauvre tout simple! Qu'allaient dire les gens! Serons nous quittes de la Mitsvah de respecter la Torah et ses Sages ?
Mais Rabbi Akiba Eigger ne voulut rien entendre: il exigea de ses hôtes qu'on l'emmène de suite chez son parent.
Les notables essayèrent à nouveau, mais en vain de l'en dissuader, lui décrirent la pauvreté de cette petite maison - était ce même une maison, cette baraque sur le point de s'écrouler ? Ils parlèrent de la honte qu'éprouveraient les habitants de Lomzhe après un tel accueil. Ils promirent que l'on installerait son parent à la table d'honneur, et qu'il serait comme le maître de maison là où le Gaon serait reçu.
Les érudits tentèrent également de fléchir le Maître: puisque déjà pour une Mitsvah DeOraïta (commandement écrit dans la thora)comme rapporter un objet trouvé, un Sage en est dispensé si la situation n'est pas en rapport avec sa dignité, alors pourquoi le Rav irait il honorer son parent qui ne peut le recevoir avec toute la dignité requise, et par là offense toute la ville?
Rabbi Akiba Eigger prit un air sévère, et son visage pâlit comme lorsqu'il était assis à rédiger ses 'Hidouchim (commentaires) mais il répondit immédiatement:
"Chers amis, c'est bien la preuve du contraire que vous m'apportez là! Lorsqu'à propos d'un objet trouvé la Torah dit "et tu te déroberais" (Deutéronome 22), nos Sages ont expliqué qu'il y a là possibilité effective de se dérober devant la Mitsvah dans le cas d'un Sage pour qui ramasser l'objet serait un affront.
Mais le même mot est employé pour nous dire "et de ta chair tu ne te déroberas point!" (Isaïe 58), et il n'y a donc aucune possibilité de se dérober à la préférence que l'on doit donner à son proche."
Les notables, tout autant que les Sages, furent surpris d'entendre une réponse aussi vive de la part du Rav et ils durent se résigner à l'accompagner chez son hôte, chez qui il s'établit durant tout son séjour à Lomzhe.
Et de ce jour là jusqu'à son départ un flux incessant de visiteurs investit la ruelle des forgerons où le Gaon résidait.
Qui de la ville ou des alentours n'y était pas venu? Les érudits avec leurs questions ou leurs réponses sur des points de Talmud, d'autres seulement pour assister aux offices du Rabbi, l'entendre, le voir à table...
"Chacun de ses gestes est un livre de Torah ouvert" se soufflaient les gens.
Beaucoup venaient aussi pour déverser la tristesse de leur coeur, demander un conseil, une bénédiction, un mot de réconfort ou une phrase apaisante. Une montagne de petits billets s'élevait de jour en jour sur la table, avec les demandes les plus diverses d'entre ce qu'un coeur juif a besoin: parnassah (revenus), Chalom Baït (paix dans le foyer)satisfaction du devenir des enfants, santé, etc...
La demande d'Ethel
Parmi le flot de personnes qui se pressaient à la porte de la maisonnette, dès les premiers jours, se trouvait la Rabbanite ( femme de rabbin) Ethel ...
Après des heures d'attente, vint son tour, et elle se présenta devant le Gaon, les yeux baignés de larmes.
Cette Ethel, qui resplendissait d'habitude de joie, qui était toujours la première à accourir pour toute Mitsvah qui se présentait, quel était donc son problème?
Elle avait neuf enfants, tous assidus à la Yéchivah, sauf l'un d'entre eux, Moché Noa'h, qui au grand désespoir de ses parents était complètement "bouché", et n'avait jamais réussi à apprendre ne serait ce qu'une ligne de Guemara.
Ethel avait déjà consulté des Rabbins réputés, reçu toutes sortes de conseils mais sans effets.
A ce jour, Moché Noa'h allait sur ses quinze ans, et étudiait la Torah comme un enfant de trois ans ...
Plus étonnant, en calcul, écriture ou connaissances pratiques, il était particulièrement doué et éveillé, et saisissait en un instant ce que beaucoup d'autres avaient du mal à apprendre.
Mais quand arrivait le cours de Guemara, c'était une autre affaire.
Rabbi Akiba Eigger écouta l'amère histoire que lui racontait cette maman brisée, minée par le malheur de son fils.
Il conclut doucment
"Nos Sages ont décrété qu'il faut faire très attention à ce que même un bébé ne consomme pas une nourriture interdite, car ceci atteint son âme, et une fois grand, il sera de mauvais caractère et inaccessible aux paroles de Torah".
"Quoi, quoi, s'écria Ethel, comme frappée d'hystérie, mon Moché Noa'h a mangé quelque chose interdite lorsqu'il était petit ? 'Hass veChalom ( que Dieu en préserve) ! Rabbi c'est im-pos-sible !"
"Et pourtant, reprit doucement Rabbi Akiba Eigger, à t'écouter, il semble bien que ce soit la vraie cause de son incapacité à comprendre la Guemara ..."
Ethel, remplie de confiance dans les paroles du Sage s'effondra, puis après un court instant tenta
- Rabbi, et que faire pour ça ?
- Etudier la Torah dans la pauvreté. Beaucoup s'investir dans l'étude, dans la misère la plus grande."
Rabbi Akiba Eigger répéta plusieurs fois sa sentence. Déjà, le visiteur suivant se présentait devant le Sage, et Ethel quitta la pièce.
Elle se précipita chez elle, et raconta précipitamment à son mari, Rabbi Hirsch Leïb, les paroles du Rav, sa suggestion quant à la cause de l'ignorance de leur fils, et son conseil pour l'avenir.
- "Et comment as tu fait, toi la femme vertueuse pour laisser notre fils consommer une nourriture interdite ?" s'exclama Rabbi Hirsch Leïb avec indignation.
- "Comment peux tu t'imaginer une telle chose! éclata Ethel.
Qui sait mieux que toi l'attention que j'accorde à ces choses là! Jamais il n'est rentré à la maison du lait à la traite duquel je n'ai pas assisté. Les enfants ne connaissent pas le goût du pain du boulanger, car ils ne consomment que celui que je cuis moi même, après avoir tamisé la farine.
Même les fruits et les légumes qui peuvent contenir des vers ne rentrent pas à la maison.
Quant à la viande, c'est toi même qui l'apporte de chez le Cho'het (abatteur rituel) après avoir assisté à l'abattage et la vérification. Comment notre fils peut il, après tout ça, avoir consommé quelque chose d'interdit, et comment peux tu me soupçonner de négligence ?"
Un lourd silence s'installa entre eux. Ethel, approfondie dans ses réflexions, murmura:
"Peut être notre Moché Noa'h aurait consommé quelque chose d'interdit chez un voisin ou un ami ? Ou bien à un mariage ou une autre occasion ?"
Rabbi Hirsch Leïb approuva sa femme et ils se résolurent à mener l'enquête dès le retour de Moché Noa'h de la Yéchivah.
C'est dire avec quelle impatience ils l'attendirent ce soir là. Son père s'assit face à lui, comme tous les soirs, puis commença à le questionner sur ses études de la journée. Il trouva rapidement l'occasion de lui demander s'il avait un jour mangé quoi que ce soit en dehors de la maison.
Moché Noa'h répondit catégoriquement qu'il avait toujours respecté la consigne maternelle de ne jamais rien consommer chez des étrangers, et autant qu'il s'en souvienne, il n'avait jamais, même étant petit, accepté quelque nourriture de qui que ce soit: il ne goûtait que les nourritures préparées par sa mère.
Rabbi Hirsch Leïb ne se contenta pas de cette réponse, et le reprit point par point.
Il était malheureux de soupçonner son fils et de pratiquer un interrogatoire de façon aussi déplaisante, mais il était sûr que Rabbi Akiba Eigger avait vu juste: il traqua le moindre des souvenirs d'enfance de son fils, ses amis, ses promenades.
Après deux heures de discussions, Moché Noa'h s'endormit sur son banc, épuisé. Il se réveilla en sursaut peu de temps après:
- Papa, Papa, je me souviens maintenant de quelque chose! J'avais cinq ans, c'était à Hanoucah, je sortais du 'Héder ( de l'école) dans le froid et la nuit, et à l'hôtel qui est en ville, il y avait un mariage.
Un des parents est sorti à notre rencontre et nous a pressés de venir prendre un bouillon chaud, avec une part de poulet ..!"
L'interrogatoire était terminé.
Dans la maison du Cho'het
Maintenant Rabbi Hirsch Leïb savait que son fils avait effectivement mangé une nourriture en dehors de la maison. Mais quoi donc ?
Rabbi Eliézer, le patron de l'auberge était connu comme un homme craignant D.ieu et un érudit, et le Cho'het local qui aurait pu abattre les poulets était connu également pour être un homme pieux et exemplaire.
Comment était il possible qu'ils aient servi aux invités du mariage une nourriture tréfa (impure) ?
Rabbi Hirsch Leïb envoya Moché Noa'h se coucher, et décida d'aller dès le matin voir son ami Rabbi Eliézer pour parler avec lui. Peut être se souviendrait-il de quelque chose concernant les aliments servis ce soir là ?
Tôt le matin, dès la fin de Cha'harit (l'office du matin), Rabbi Hirsch Leïb se présenta à l'hôtel.
"Te souviens tu, Reb Eliézer, d'un mariage qui s'est tenu ici à 'Hannoucah, il y a dix ans ?" Rabbi Eliézer dévisagea Rabbi Hirsch Leïb avec étonnement:
"j'ai ici deux mariages par semaine ! Comment veux tu, Reb Hirsch, que je me souvienne d'un mariage d'il y a dix ans ?".
Mais Rabbi Hirsch Leïb n'était pas homme à se laisser démonter aussi facilement. Il expliqua à son ami que la question le touchait au plus profond de lui, et qu'il avait un besoin extraordinaire de savoir qui s'était marié, et dans quelles circonstances le repas s'était effectué.
Reb Eliézer se laissa convaincre sans difficultés; il appela son serviteur, prépara une lampe à pétrole et descendit avec Rabbi Hirsch Leïb dans la cave, pour voir s'il restait quelque vieux livre comptable qui puisse renseigner son ami.
Après avoir feuilleté une dizaine de registres et soulevé des montagnes de poussière, l'aubergiste exhuma un vieux cahier de cette année là.
On remonta dans la salle à manger pour mieux feuilleter le registre. Et ils arrivèrent à la page fatidique:
"Ce second jour de 'Hannoucah, 26 Kislev 5586 (1825), a eu lieu le mariage en secondes noces de Yekoutiel Halpert. Tout a été payé d'avance".
L'entêtement de Rabbi Hirsch Leïb avait donc payé: il avait cette fois en mains tous les éléments qui permettraient de ... commencer l'enquête.
Yekoutiel Halpert habitait à quelques rues de là. Il ne restait plus qu'à aller le voir et écouter de sa bouche les détails concernant l'abattage des poulets qu'il avait servis le soir de son mariage il y dix ans...
Yekoutiel Halpert était un juif typique de Lomzhe: robuste, grossier, il était maréchal ferrant.
Dès qu'il vit Rabbi Hirsch Leïb, le Rav de la ville rentrer dans l'écurie, il l'apostropha le sourire aux lèvres, sans même le saluer.
"Qu'est ce qui amène ici le Rav?", demanda-t-il d'une voix claquante comme les sabots des chevaux.
Le Rav lui expliqua qu'il souhaitait avoir des détails sur son second mariage, il y a dix ans.
Peu importe à Yekoutiel pourquoi le "petit Rabbin", comme il l'appelle, s'intéresse à son mariage. Il n'est pas curieux de nature, et se sent très honoré que son "petit Rabbin" soit venu en personne dans sa forge pour s'entretenir avec lui, et en plus de son propre mariage. Aurait il un jour imaginé tel honneur?
Il lui parla de son divorce, trente ans auparavant, après son premier mariage avec Ra'hel, de la ville de Rouwné.
Puis de son remariage, après vingt ans de célibat, avec sa seconde femme 'Havah.
De lui même, il abondait en détails sur la splendeur du mariage qu'il s'était alors offert, le Rav qui célébra le mariage, le cho'het, le banquet ... Rabbi Hirsch Leïb n'en demandait pas plus, et après lui avoir souhaité longue vie et bonheur, il s'éclipsa.
Quelques instants après, il poussa la porte de la maison de l'ancien cho'het qui avait cessé depuis de travailler.
" Vous souvenez vous de quelque chose concernant l'abattage des poulets pour le banquet de mariage de Yekoutiel Halpert, il y dix ans ?" lui demanda-t-il après quelques paroles d'usage. A peine avait il prononcé ces mots que le Cho'het pâlit.
- Oïe, oïe, soupira le vieil homme. Le mariage de Yekoutiel ... une chose terrible ! Combien de jeûnes ai je jeûnés depuis pour me faire pardonner, et l'on vient encore, dix ans après me rappeler ma faute ...!
- La che'hita n'était pas cachère ? demanda Rabbi Hirsch Leïb en tremblant.
- D.ieu garde, répondit vivement le cho'het, ce n'est pas celà! c'est tout autre chose!
- Et quoi donc ?
La curiosité de Rabbi Hirsch Leïb allait en grandissant. Le vieux cho'het essayait de s'esquiver.
- Tant d'années ! Tant d'années ! A quoi bon se poser des questions sur un passé aussi lointain ?
Rabbi Hirsch Leïb, ému, raconta à son vieil ami l'histoire de Moché Noa'h, si obtu dans les études saintes, les paroles de Rabbi Akiba Eigger qui avait relié ceci à la consommation de mets interdits.
Il expliqua qu'il ne pourrait être tranquille avant de savoir comment ceci avait pu arriver à son fils, afin d'être plus vigilant à l'avenir.
"Les paroles qui sortent du coeur vont droit au coeur" et le cho'het ne put que s'émouvoir des paroles de Rabbi Hirsch Leïb, convaincu de sa peine, et de la grandeur de Rabbi Akiba Eigger qui avait vu d'aussi loin cet évènement inconnu de tous.
Il prépara un verre de thé pour apaiser son hôte, puis commença sa terrible histoire, d'une voix brisée.
"C'était il y a trente ans, commença-t-il, quand Yekoutiel Halpert divorça de sa première femme Ra'hel à Rouwné. Je ne sais quel Beth Din a procédé au Guett (divorce religieux), mais quelques semaines après, des rumeurs circulaient sur la validité du Guett.
D'éminents Rabbins invalidèrent successivement le divorce, et interdirent à Ra'hel de se remarier. Des années durant ce divorce fut l'objet de discussions dans les Beth Hamidrach, jusqu'à ce que l'affaire s'oublie.
Il y a dix ans et trois mois, sur le tard, Yekoutiel se remaria. Le Rav qui pratiqua le mariage ne fit pas cas du divorce contesté de Yekoutiel, et quant à moi, je n'en n'avais jamais entendu parler.
Le cho'het recommença à soupirer et à se tordre les mains.
Malheur à ces mains qui seront brûlées dans le feu du Gehinom pour avoir abattu la viande d'un tel mariage!
"Quelques semaines après le mariage, j'eus l'occasion de rencontrer un de mes amis, un vieux 'Hassid 'Habad, qui me fit des remontrances"
"Comment est ce possible ? Comment en es tu arrivé là ? Ne sais tu pas que notre Maître, Gaon d'Israël le Saint Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi, l'auteur du Tanya et du Choul'han Aroukh Harav, a fait partie de ceux qui ont invalidé le Guett donné par Yekoutiel à sa première femme ?
Comment as tu osé abattre des poulets pour le mariage d'un tel pêcheur, qui se marie avant d'avoir répudié convenablement sa première femme!"
Je m'évanouis de surprise, et mon ami s'efforça de me ranimer. Je lui expliquai que j'étais innocent, et que j'ignorais tout du passé de Yekoutiel.
Il sortit de sa poche une copie de la lettre de Rabbi Chnéour Zalman, qui s'élevait avec amertume contre la procédure du divorce de Yekoutiel.
"Malheur à moi, qui ai pêché involontairement, et malheur à ces mains qui seront brûlées dans le feu du Gehinom pour avoir abattu la viande d'un mariage aussi controversé !"
La lettre du Baal Hatanya
Maintenant Rabbi Hirsch Leïb savait tout. Enfin presque tout.
Il aurait bien voulu voir la lettre du Baal Hatanya, le Rabbi Chnéour Zalman. Le cho'het, lui ne souhaitait pas tellement la lui montrer; l'évocation de cette lettre lui était déjà pénible, et il redoutait de la revoir.
Si près du but, Rabbi Hirsch Leïb ne se laissa pas décourager, et le cho'het finit par admettre qu'ils iraient voir la lettre chez le vieux 'Hassid.
Mais il habite loin d'ici, dans un petit village à plus de vingt milles de Lomzhe. Comment irons nous ? gémit-il.
En un clin d'oeil, Rabbi Hirsch Leïb avait entraîné son ami dans la rue, accosté une diligence, et les voilà en route. Le cocher se dirigea rapidement vers la sortie de la ville, et le long voyage commença sous une pluie battante qui ne les quitta pas jusqu'à leur arrivée, quelques cinq heures plus tard, dans la nuit du petit village.
Quelques légers coups sur la porte, et celle ci s'ouvrit sur un visage impressionnant.
Le vieux 'Hassid, qui avait servi dans sa jeunesse chez Rabbi Mena'hem Mendel de Vitebsk (13) et chez Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi (14 )les reçut joyeusement, leur tendit la main et les installa rapidement devant une collation et une boisson chaude.
La glace dont leur barbe est éparse eut tôt fait de fondre, et leurs os de se réchauffer. Le cho'het s'inquiéta de la santé de son ami, de sa famille puis aborda le sujet qui justifie leur visite si tardive.
"Nous sommes intéressés au plus haut point à voir la lettre de Rabbi Chnéour Zalman concernant le guett passoul de Yekoutiel, conclut il et ceci touche au plus profond mon ami ci présent, Rabbi Hirsch Leïb."
Et d'enchaîner sur l'histoire de Moché Noa'h, et les paroles de Rabbi Akiba Eigger. Le 'Hassid sursaute, tout comme à l'époque.
"Comment est il possible qu'un Rav ait marié cet homme sans se renseigner sur lui? Et comment se peut il qu'un cho'het abatte de la viande sans demander qui se marie et qui sont les participants ...?"
Le cho'het s'abrite à nouveau derrière le Rabbin qui pratiqua le mariage, puis reprocha au 'Hassid de n'avoir pas donné plus de publicité à la lettre du Baal Hatanya: on n'en serait pas arrivé là!
Après un bref échange de paroles, le vieux 'Hassid s'enfonça dans ses pensées, puis sortit la lettre, qu'ils lurent ensemble, mot à mot:
"J'ai été stupéfait de voir, et désolé d'entendre cette histoire inouïe qui s'est passée dans votre contrée, concernant une femme répudiée par un Guett non conforme à la Sainte Torah, qui ne mentionne que son nom Ra'hel: bien que son nom de naissance soit effectivement Ra'hel, étant donné qu'elle est connue de tous sous le nom de Roucha, son Guett est totalement invalide.
C'est pourquoi, il vous revient de tout faire pour empêcher cet homme de se remarier (...), et d'interdire fermement à tout cho'het de pratiquer un abattage de viande ou de volaille pour ce mariage, et s'il contrevenait, à D.ieu ne plaise, sa viande serait Névéla -interdite à la consommation"
Rabbi Hirsch Leïb et le vieux cho'het éclatèrent en sanglots, et les larmes coulèrent sur le vieux papier jauni de la lettre du Saint Rabbi Chnéour Zalman.
Rabbi Hirsch Leïb prenait ainsi mesure de la force du Maître Rabbi Akiba Eigger qui avait vu de si loin une telle chose.
Il prit le soir même le chemin du retour vers Lomzhe, laissant le cho'het se reposer chez son ami, dans le village.
Il n'était plus préoccupé, maintenant, que de savoir comment accomplir le sauvetage de son fils, par l'étude dans la pauvreté, afin que D.ieu lui ouvre le coeur à la Torah.
Il arriva à Lomzhe tout juste à l'aube, pour se joindre à son minyan habituel avec les Vatikim, ceux qui prient au lever du soleil.
Dans le Chemoné Esré, il se répandit en pleurs, pour implorer D.ieu de lui procurer l'intuition nécessaire: où envoyer Moché Noa'h étudier pour mettre en pratique le conseil de Rabbi Akiba Eigger.
En arrivant au passage "veliyrouchalaïm irekha" Rabbi Hirsch Leïb buta sur les mots "et dans Jérusalem ... et dans Jérusalem Ta ville..." Serait une allusion d'en haut à ma prière ?
Il se mit à frissonner. Qui n'a entendu parler de la pauvreté matérielle de la communauté de Jérusalem ?
Qui n'a entendu parler de la richesse spirituelle des juifs, ainsi que nous content les rabbins et émissaires envoyés par les institutions pour collecter les oboles ?
Là bas, tout près de la Porte du Ciel, ce sera certainement l'endroit convenable pour Moché Noa'h pour qu'il puisse nous donner toute satisfaction comme un bon enfant juif. Est ce possible que ma tefila ait déjà été exaucée ?"
L'exil
Ce jour même, Rabbi Hirsch Leïb aborda le sujet avec Moché Noa'h, seul à seul.
"C'est vrai , mon fils, que tu as beaucoup travaillé pour étudier la Torah, mais à ma grande tristesse, tes efforts n'ont pas été couronnés de succès. Ta mère, la Tsadkanit , la juste, qui se fait tant de souci pour toi, a pris conseil chez un des Sages d'Israël, qui lui a dit que seul l'exil dans un lieu de Torah et l'étude dans la pauvreté peuvent te sauver".
Rabbi Hirsch Leïb se tut quelques instants. Ses yeux se fixèrent dans le regard étonné de son fils, puis il reprit d'une voix étranglée:
"C'est vrai, mon cher fils, qu'il est dur, à ton âge, de quitter ses parents pour partir en Erets Israël, ce lieu qui t'a été désigné du ciel pour ton élévation spirituelle. Mais saches que c'est encore plus dur pour tes parents, qui t'aiment de tout leur coeur. Pourtant, c'est là bas seulement que tu pourras arriver au vrai but de la création de l'homme, là bas seulement que tu trouveras une guérison à ton mal: avec l'aide de D.ieu tu y grandiras dans la Torah et tu deviendras un Grand de la communauté d'Israël."
Moché Noa'h éclata en sanglots.
Il avait à peine quinze ans, et il était obligé de quitter la maison de ses parents, de se séparer de ses frères si exemplaires, de ses soeurs si affectionnées... mais il savait combien pire serait de rester toute sa vie un Am Haarets, un ignare.
Moché Noa'h accepta avec amour la décision de son père de partir en exil dans un lieu de Torah.
A cette époque, en Lithuanie, un groupe de Talmidei 'Hakhamim, sages érudits, se préparaient à monter en Eretz Israël.
Rabbi Hirsch Leïb eut tôt fait de se lier avec un des voyageurs, auquel il raconta toute son histoire. Il lui confia son fils, avec pour seule consigne de veiller sur lui jusqu'à ce qu'il lui trouve un compagnon d'études convenable.
Quelques jours plus tard, toute la famille était là, sur le quai pour accompagner Moché Noa'h. La séparation fut rude: Rabbi Hirsch Leïb se mordait les lèvres pour se contenir, Ethel adressait à son fils baisers et bénédictions, tandis que les frères et soeurs faisaient des grands signes d'adieu, jusqu'à ce que le bateau avec ses trente passagers juifs s'éloigne du port.
Il fallait à cette époque près de trois mois de bateau pour accoster à Jaffa. Après quelques jours de repos, ils eurent l'occasion de se joindre à une caravane qui partait pour Jérusalem, (les chemins étaient alors incertains, et les pélerins se regroupaient pour faire route avec un guide, sous bonne garde).
Chacun prépara ses coffres et ses paniers, et parmi eux, Moché Noa'h le plus jeune du groupe, qui outre un coffre plus haut que lui, tenait à la main une lettre que son père lui avait recommandé de ne jamais quitter, jusqu'à la remettre à son destinataire à Jérusalem.
Cette lettre de Rabbi Hirsch Leïb était envoyée à une de ses connaissances, le Gaon et 'Hassid Rabbi Yaacov Koppel Chapira, (le père du Tsaddik connu à Jérusalem, Rabbi Tsvi Mikhal), et contenait en quelques lignes bien tracées,(A la façon des textes manuscrits de certains contrats et des textes sacrés, qui doivent être écrits sur un texte ligné)d'une écriture droite, la recommandation suivante:
"A mon cher Ami, le respecté Gaon et Tsaddik Rabbi Yaacov Koppel, que D.ieu lui accorde une longue vie. Avec tout le respect pour un homme de Torah, et mes meilleurs souhaits de paix pour lui et toute sa grande famille, je te confirme, selon les termes de ma lettre précédente, que j'ai pu mettre à exécution le projet dont je t'avais parlé, et mon fils
Moché Noa'h, porteur de la présente, monte à Jérusalem avec les plus pures intentions et le projet de s'adonner à la Torah dans les plus dures conditions.
Je te redemande, cher ami, avec insistance, de le garder comme la prunelle de tes yeux, de veiller à ce qu'il ne cesse d'étudier la Torah, ne fut ce qu'un instant. Je te confie la vie de mon fils, et te prie de le préserver de tous les dangers:
qu'il ne mange que de ton pain, ne boive que ce qui se boit chez toi, et soit à tes côtés. Enseigne lui l'étude, l'acharnement à l'étude, l'assiduité, et mets le à l'écart du luxe et du laisser aller.
Comme je te l'ai écrit, nous avons également dans nos pays d'exil ces qualités d'étude et de ferveur. Mais ce n'est qu'à Jérusalem que l'on peut côtoyer la Torah et la pauvreté, et c'est pourquoi je te le confie.
Agis comme tu me l'as proposé dans ta dernière lettre, où tu te proposes de lui faire partager la vie de nos frères de Jérusalem installés là bas à la porte des cieux, et D.ieu dans Sa grande bonté lui viendra en aide et ouvrira son coeur à la Torah, et ce sera là la plus grande récompense de ma vie.
Ton ami respectueux,
ému au souvenir de ton père le Gaon et 'Hassid Rabbi Velvel de Tiktin,
Hirsch Leïb Farber, de Lomzhe."
De Lomzhe à Jérusalem
C'est dans un nouvel univers que Moché Noa'h plongea dès son arrivée à Jérusalem. Après quelques jours passés dans la maison de Rabbi Yaacov Koppel, il était déjà imprégné de sensations nouvelles qui bouleversaient son monde.
La maisonnée de ses parents était pourtant loin de tout luxe, et chacune des dépenses quotidiennes y était mûrement débattue; elle pouvait cependant passer pour un palais à côté de ce qui se voyait chez Rabbi Yaacov Koppel.
On était vraiment à des milliers de kilomètres de ce qui se passait à Lomzhe.
Chez ses parents, il y avait trois grandes chambres, et les murs crépis étaient décorés de couleurs. Les lourdes armoires de bois massif avaient des portes sculptées, et dans la salle à manger, une longue table, avec des chaises assorties, une vaisselle de porcelaine aux motifs bleus, des couverts en métal, des couteaux qui coupent.
Les enfants, quoique habillés modestement portaient des vêtements agréables, sans reprises, des chaussures non rapiécées.
La nourriture elle même, était toujours suffisante pour tous.
Et pourtant, Rabbi Hirsch Leïb était bien loin d'avoir le train de vie des riches de la ville. Plus encore, sans sa position de Rav, il aurait certainement été considéré comme un des pauvres de la ville, quoique partageant le sort de la classe moyenne de Lomzhe, pour qui un sou était un sou !!
Ici à Jérusalem, la maison de Rabbi Yaacov Koppel comportait une pièce et demi, dont les soupiraux arrivaient à grand peine au niveau de la rue.
Le crépi des murs avait certainement existé un jour, lors de la construction de la maison. Quant aux meubles de la maison, ils avaient une mine bien pitoyable: la seule table était un assemblage ingénieux de poutres et de planches.
Les sièges consistaient dans les restes des chaises offertes lors du mariage, trente ans auparavant.
Les vêtements des enfants étaient accrochés sur des clous de ci et de là, faute d'armoire.
Sur une lourde étagère on posait tous les soirs une lampe à pétrole qui dispensait une bien pâle lueur qui donnait cependant à tous une envie d'étude extraordinaire.
Quant aux vêtements, rien de comparable avec Lomzhe ! Quelques mois avant une Bar Mitsvah, on soupesait déjà avec gravité la possibilité d'acheter au garçon une nouvelle paire de chaussures. Le reste du temps, on ne comptait plus les pièces recousues sur les vêtements et chaussures des uns et des autres.
Bien que l'alimentation et le menu occupaient peu de place ici, il n'était pas rare d'entendre Rabbi Yaacov Koppel et la maîtresse de maison en discuter dans les détails.
C'est ainsi que Moché Noa'h entendit plus d'une fois la Rabbanite proclamer en début de semaine: "cette fois, les enfants, nous ne pourrons pas acheter de lait.
Il faudra vous contenter d'eau avec un peu de vin fabriqué par Papa, et D.ieu vous donnera des forces pour étudier la Torah!" Ou encore:"hier tu as mangé la moitié d'un oeuf, aujourd'hui il faut que tu la laisses pour ton frère !
Quant à Rabbi Yaacov Koppel lui même, il pesait à chaque repas sa part, un kazaït de pain;(volume d'une olive, approximé à 30 grammes, qui justifie une bénédiction après le repas) , précisément, juste de quoi faire Bircat Hamazone après son seul repas de la journée.
Au début, Moché Noa'h fut effrayé de ce mode de vie. Il avait des vertiges à la seule vue de cette table vide, et se demandait combien de temps il tiendrait avant d'être obligé de retourner à Lomzhe.
Puis il se rendit compte que les enfants de la maison tenaient le coup, et mieux que lui et ses frères qui consommaient de la viande et un plat chaud tous les jours.
Il admit que la vie spirituelle, le repos de l'esprit et la volonté font partie des ingrédients d'une bonne santé.
"Les visages de ces enfants affamés ne brillent ils pas plus que ceux des enfants de Lomzhe rassasiés ?" se disait Moché Noa'h.
"D'où ces enfants de Jérusalem tiennent ils ce regard lumineux et ces forces pour étudier la Torah avec tant d'énergie, tout le jour et tard le soir ?
Serait ce dans ces monotones tranches de pain noir trempées dans de l'huile et tartinées de jus d'ail ou je ne sais quel autre légume ?
D'où leur vient ce visage noble et calme le Chabbat et les jours de Fêtes?
Seraient ce leurs vêtements on ne peut plus rapiécés ?
Et ce sourire de satisfaction lorsqu'ils répètent le soir devant leur père, de leur voix chantonnante, les questions du Maharcha ou les raisonnements du Pnéi Yechoua qu'ils ont entendu au 'Héder ?"
Petit à petit, Moché Noa'h s'éveilla à cette nouvelle atmosphère qui faisait des petits enfants de Jérusalem des êtres exceptionnels: son âme "s'alluma" lentement, et ses interrogations s'évanouirent d'elles mêmes.
Jérusalem, la ville des Prophètes, résidence des rois de Judah, foyer des Tanaïm,(rédacteurs de la Michnah, première compilation écrite de la Loi Orale, sous l'impulsion de Rabbi Yéhoudah Hanassi, contemporain d'Antonin) qu'il connaissait tant par le Tanakh,(initiales des trois livres de Torah, Neviim, Ketouvim, Pentateuque Prophètes et Hagiographes qui constituent la Bible) cette ville toute en esprit et en sainteté, avait maintenant conquis son coeur.
Il percevait Rabbi Yaacov Koppel, à qui son père l'avait adressé, comme son sauveur. Il étudiait maintenant quinze heures par jour, et sentait à quel point ces tartines de pain trempées dans de l'huile lui procuraient force et ardeur à la tâche.
Le corps et l'esprit sain, heureux, il se sentait progresser dans l'étude, s'accrocher à tous les 'Hiddouchim, sans en perdre un brin, raisonner juste. Il rattrapa puis dépassa les enfants de son âge ...
Cela faisait maintenant trois ans que Moché Noa'h étudiait régulièrement avec son bienfaiteur Rabbi Yaacov Koppel, trois heures et demi d'affilée, dans le Beth Hamidrach "le Consolateur de Sion".
La différence d'âge entre les deux semblait s'estomper au fil des pages, des discussions et 'Hiddouchim. Moché Noa'h était devenu un autre être, et sa seule aspiration était de continuer son ascension.
Jusqu'au jour où Rabbi Yaacov Koppel lui fit comprendre que le moment était arrivé ... Nos Sages n'ont ils pas enseigné "âgé de dix huit ans, c'est le mariage". Et à Jérusalem à l'époque, on ne discutait pas avec celà!
La pierre précieuse
Moché Noa'h comprit de suite l'allusion. Mais était ce bien à lui de s'en occuper ? En était il même capable?
Comme lisant dans sa pensée, son maître et compagnon d'étude lui suggéra d'aller rendre visite au Rav de la ville, le Gaon Rabbi Chmouel Salent.
Une semaine plus tard, face au Rav, toutes les appréhensions de Moché Noa'h s'effacèrent: conquis par l'étendue des connaissances du jeune homme et sa vive intelligence, le Rav sera lui même le Chadkhan, (marieur, ancêtre de nos agences matrimoniales.).
Et quelques jours plus tard, on célébra les fiançailles de Moché Noa'h avec la fille du Tsaddik Rabbi Yossef Kovner, de Jérusalem.
Dans la lettre qu'il adressa à ses parents à cette occasion, Moché Noa'h écrivit:
"A mon cher Père, mon Maître, et à ma chère Mère,
Ce n'est que maintenant que je prends la mesure de ce que vous avez fait pour moi, alors, en me forçant à me séparer de vous et de mes frères et soeurs, car de n'est que la Torah que j'ai apprise ici, dans la difficulté, qui m'a sauvé, et qui sera mon seul mérite durant toute ma vie, ici à Jérusalem où je souhaite habiter avec la future épouse que D.ieu m'a donnée.
Soyez rassurés et reposés, et que D.ieu ne vous donne que du bonheur de moi et de tous vos enfants, en tous temps.
Votre fils, Moché Noa'h."
Lorsque cette année là, Rabbi Chmouel Salent dut sortir du pays pour visiter les communautés de l'exil au profit des institutions de Jérusalem, il passa également à Lomzhe, et visita les parents de Moché Noa'h, Rabbi Hirsch Leïb et sa femme Ethel.
Il leur annonça la bonne nouvelle:
"c'est une pierre précieuse, un trésor inestimable, que vous avez dans la Ville Sainte".
Traduit de Yérouchalaïm chel Maala par Aharon - www.milah.info
Hannoucah dans une prison russe
'Hannoucah est pour le Rav Sim'ha Langsam de Peta'h Tikvah l'occasion de rassembler toute sa famille.
C'est aussi l'occasion pour tous ses petits enfants de réclamer une nouvelle fois l'histoire favorite de Reb Sim'ha: son 'Hannoucah dans les geôles soviétiques. Reb Sim'ha ne se fait pas prier pour leur conter l'éternité de l'aide divine au Peuple Juif dans les circonstances les plus dramatiques.
"C'est l'hiver 1940. La vie juive Pologne n'est plus qu'un souvenir, et la vie d'un juif n'y tient qu'à un mince fil.
Avec un groupe d'amis de mon âge, j'ai réussi à traverser le fleuve qui coupe en deux la ville de Lasko et est la frontière avec les territoires sous contrôle soviétique.
A peine échappés aux mains des nazis, nous voici capturés par des soldats russes, et notre liberté s'arrête à la porte de la prison Brigidkis de Lvov.
Nous sommes 80 prisonniers dans un cachot destiné à une trentaine d'hommes. Et ce n'est pas le pire de nos malheurs…
Les juifs religieux se sont regroupés, murmurant des prières, se soutenant mutuellement par des paroles de réconfort et de Torah, au point que nos autres coreligionnaires nous envient cette foi ardente qui nous permet d'espérer.
Le premier soir de 'Hannoucah est arrivé.Nous savons que dans le monde, des millions de foyers juifs brilleront de cette petite flamme éternelle qui signifie la victoire des forces spirituelles sur le monde de la matérialité et de la brutalité, de la Sainteté sur l'impureté.
Et qu'en sera-t-il de notre 'Hannoucah?
Après la prière du soir, un des prisonniers nous déclare qu'il a préparé une surprise. Une allumette! Il l'allume devant nous pour quelques instants de 'Hannoucah que nous prolongeons longuement en murmurant des chansons de la fête, en se chuchotant quelques récits ou bons mots sur le miracle de 'Hannoucah d'alors.
La consigne dans la prison est qu'à 9 heures précises un coup de sifflet nous enjoint de cesser toute conversation ou tout mouvement, et de se coucher, qui sur des lattes de bois, qui sur le sol de béton.
Les lampes dans la geôle ne s'éteignent jamais, afin que les gardiens puissent contrôler les prisonniers.
Alors que l'heure du coucher arrive, tout s'éteint brusquement. C'est la première panne d'électricité dans cette prison, et je crois qu'il n'y en eut pas d'autre durant mon séjour.
Une agitation hystérique se fit entendre dans les couloirs. Notre porte fut ouverte brutalement, et un gardien entra le fusil pointé vers les prisonniers, suivi d'un autre porteur d'une grande bougie.
Ils avaient reçu pour consigne de déposer dans chaque cellule une grande bougie, pour nous dissuader de profiter de l'obscurité pour nous agiter.
Mon bonheur fut à son comble lorsque je vis le gardien poser la bougie dans l'épaisseur de la fenêtre à côté de la porte, et sortir en grommelant qu'il revenait de suite.
Une idée folle m'agitait, et je ne pouvais pas rater une telle occasion! Je me suis levé rapidement, ai saisi la bougie pour en couper un ou deux centimètres avec un objet tranchant, et voilà la bougie remise en place!
A peine recouché, les lumières se rallumèrent. Mon cœur battait de toutes ses forces, à l'idée que mon "crime" allait être découvert.
C'est dans le meilleur des cas une sévère correction et le cachot d'isolement pour plusieurs jours!
La porte s'ouvrit et deux gardiens entrèrent pour éteindre la bougie et l'emporter. Ce n'était pas les mêmes, et je me sentis rassuré:
ils ne pouvaient pas s'apercevoir que la bougie avait raccourci. Ils sortirent effectivement sans se douter de rien.
Tous les regards se tournèrent vers moi. Tous les juifs, même les plus éloignés de la pratique des Mitsvot avaient compris qu'un vrai miracle de 'Hannoucah venait de se passer.
Du fond de la cellule, Reb Chmouel Na'houm Amar, l'érudit qui nous tenait lieu de Rabbin et de guide spirituel murmura
"Mes chers frères! Nous ne pouvons pas connaître les chemins de D.ieu! Mais ce soir nous avons eu le grand mérite de voir de nos propres yeux la main de D.ieu au secours de son Peuple! Remercions Le comme il se doit sur les miracles qu'Il a faits à nos ancêtres autrefois".
Il se tourna vers moi d'un air entendu. Sortie de je ne sais où, une allumette me fut présentée, et avec une intense émotion je récitai à voix basse les trois bénédictions avant d'allumer la bougie.
De tous les coins de la cellule jaillit -en silence- la mélodie de "Maoz Tsour". Je regardai fasciné ma petite bougie de 'Hannoucah.
Au bout de quelques minutes, j'éteignis la flamme. Il fallait garder un peu de lumière pour les soirs suivants!
Nous fîmes ainsi chacun des soirs de 'Hannoucah. Après Maariv, allumage de quelques minutes, avec le sourd refrain des chants de 'Hannoucah.
Ma bougie dura ainsi pendant huit jours!
Aharon ALTABE
'HANOUCCAH SOUS L'OCCUPATION NAZIE
A voir Reb Chmelké, le Rabbin de Savolov, au port si noble et si majestueux, on avait peine à croire qu'on avait pût familièrement l'appeler, même entre amis, "Le Violoniste".
Pourtant ce surnom correspondait à une réalité. Reb Chmelké avait toujours aimé la musique. Or, un jour, pour le remercier d'un service rendu, on lui avait offert un violon.
Il s'était mis à en jouer et avait découvert, au bout de quelque temps, qu'il pouvait en tirer d'accents capables d'émouvoir jusqu'aux larmes ceux qui l'écoutaient.
Le rabbin eût bien aimé s'adonner plus souvent à son plaisir favori. Les soins qu'il devait à sa communauté, joints à l'étude de la Torah, ne lui en laissaient guère le temps, Mais que ses disciples eussent une Sim'ha (réjouissance), par exemple, alors il les honorait d'un Nigoun (chant) qu'il exécutait magistralement sur son instrument.
Vinrent les jours terribles de l'occupation nazie. Les Juifs étaient menacés dans leurs vies. Ils devaient fuir et aller se cacher dans les forêts profondes. Accompagné d'un groupe de disciples, Reb Chmelké fit de même.
Il devenait, par la force des choses, leur chef, Il leur eût d'ailleurs manqué cruellement s'il n'avait été là, Car ses sages conseils et ses encouragements leur furent bien nécessaires en ces heures sombres; et sa foi indéfectible en l'aide et la protection du Tout-Puissant eurent plus d'une fois raison de leurs doutes et de leurs désespoirs.
Sous la constante menace d'être découvert, le groupe se déplaçait; il quittait sa cachette, en trouvait une autre, Le danger était pour un temps écarté. Alors les hommes respiraient, se détendaient, Le violon de Reb Chmelké faisait le reste.
Ses notes pleines de douceur achevaient d'apaiser ces cœurs troublés, Jamais le rabbin ne se séparait de son violon, comme il ne se séparait jamais du sac où il gardait son Tallith et ses Tefiline. C'était d'ailleurs tout ce qu'il possédait maintenant; il n'avait rien sauvé d'autre de sa maison en flammes.
Deux années passèrent; deux hivers rigoureux que le rabbin et ses partisans réussirent, grâce aux vivres et aux couvertures audacieusement enlevés aux Nazis, à affronter sans dommage. Il n'y avait donc pas de raisons de désespérer, et Reb Chmelké fut très heureux quand un groupe des Juifs, rencontrés dans la forêt, vint grossir les rangs de ses fidèles.
Parmi eux, cependant, se trouvait un homme nommé Yossel le forgeron, qui semblait prendre plaisir à susciter le trouble et l'insatisfaction parmi ses compagnons. Puis ce furent encore une fois l'hiver et ses problèmes.
Des problèmes plus aigus en raison du plus grand nombre d'hommes à nourrir. Les provisions fondaient. Les couvertures, suffisantes l'année précédente, ne l'étaient plus. Il fallait agir.
Un soir, juste deux semaines avant 'Hanouccah, Reb Chmelké réunit ses hommes pour leur faire part de la gravité de la situation. Une sortie devenait nécessaire. Elle serait pleine.de périls; aussi se gardait-il de désigner qui que ce fût pour cette mission. Certes, il la dirigerait lui-même; mais il avait besoin du concours de deux ou trois de ses hommes.
Les volontaires furent nombreux. Mais une protestation unanime s'éleva contre le départ du chef. " Votre place est ici", lui dirent ses disciples, "c'est ici que vous pouvez être le plus utile".
Il y avait, certes, pour tout Juif, un danger d'être pris par les Nazis; mais celui qui courait le Rabbin était infiniment plus grave. Bien connu des Allemands pour avoir aidé beaucoup de ses frères à échapper à leurs poursuites meurtrières, il était activement recherché.
Et les disciples du rabbin firent de leur mieux pour persuader leur chef de rester. Mais ce fut peine perdue. Reb Chmelké entendait diriger l'expédition. Son second s'occuperait des partisans pendant son absence.
Il fallait qu'il partît, lui. S'il insistait, ce n'était point vaine témérité de sa part, mais seulement parce qu'il savait comment s'y prendre pour rejoindre la ville et pourvoir au renouvellement de 1. approvisionnement qui commençait à faire défaut.
- Mes amis, leur dit-il d'un ton plein de gravité, j'espère, avec l'aide de Dieu, revenir à temps pour célébrer 'Hanouccah avec vous. Je vais maintenant vous jouer la belle mélodie de "Maoz Tzour Yechouati". Dieu veuille que je puisse la jouer à nouveau pour vous la première nuit de 'Hanouccah.
Soyez vaillants et ayez foi en le Tout-Puissant; Il ne ménage pas Son aide à ceux qui mettent en Lui leur confiance.
Ayant dit, Reb Chmelké entama la belle mélodie. Ses amis, l'écoutaient, retenant les larmes que faisaient monter à leurs yeux autant les accents puissants de l'instrument que la pensée de la séparation toute proche.
Puis les volontaires conduits par le rabbin partirent.
YOSSEL FAIT DES SIENNES.
A peine s'étaient-ils éloignés que Yossel, reprenant son action démoralisante, commença à semer le doute dans l'esprit des partisans.
- Voulez-vous savoir le fond de ma pensée? fit-il.
Eh bien. je n'ai pas l'impression que le Rabbin ait la moindre intention de revenir. Sinon, je vous le demande, pourquoi aurait-il pris son violon avec lui?
- Personne ne t'a demandé ton avis, rétorqua sèchement un des amis de Reb Chmelké. Et si tu veux le savoir, je te dirai que notre chef est capable d'accomplir des choses extraordinaires avec son instrument. Voilà pourquoi il l'a emporté.
- Le mieux que tu aies à faire, dit l'adjoint du Rabbin avec autorité, c'est d'obéir aux ordres qui nous enjoignent à tous de demeurer ici et d'attendre le retour de notre chef.
- Balivernes. cria Yossel. Je n'ai pas du tout l'intention de rester. Qui veut me suivre? Je vais aller me rendre compte par moi-même de ce que le Rabbin nous cache.
- Je t'accompagne, ajouta un autre. Si je restais plus longtemps ici, il me semble que je deviendrais fou.
- Souvenez-vous, dit le second du Rabbin avec sévérité, qu'agissant sans discernement, comme vous voulez le faire, vous mettez en danger, non seulement vos propres vies, mais aussi celles de tous ceux qui se cachent ici.
Yossel et son ami prêtèrent à peine l'oreille à cet avertissement. Ils ramassaient en hâte quelques vêtements et des chaudes couvertures. Puis, emportant leurs rations, ils disparurent dans les ténèbres de la nuit.
UNE AVENTURE QUI FINIT MAL
Quelques jours se passèrent sans qu'aucun fait important n'en marquât le cours. Puis, soudain, les hommes virent arriver, l'œil hagard, tenant à peine sur ses jambes, le compagnon de Yossel. Ils le firent asseoir et lui donnèrent à boire. Il reprit peu à peu ses esprits, et enfin parla :
- Je ne sais pas par quoi commencer... fit-il.
Nous avons rattrapé à la ville le Rabbin. Mais où? Je vous le donne à imaginer... Dans une taverne.
Votre cher Rabbin, travesti en paysan, jouait allégrement de son violon au milieu des Nazis ivres qui chantaient et dansaient! Vous voyez donc combien Yossel avait raison de se méfier!
- C'est une histoire bien étrange que tu nous contes là, dit l'adjoint du Rabbin. Mais nous connaissons assez notre chef pour ne point douter de ses actes même si, à première vue, ils paraissent incompréhensibles. Mais où est donc ton ami Yossel?
- ]e ne le sais pas plus que vous. j'espère seulement qu'il est encore en vie. J'ai perdu ses traces quelque part dans la forêt alors que nous transportions des paquets de vivres que nous nous étions procurés. Nous avons eu la malchance de tomber sur un groupe de soldats nazis. Alors nous avons jeté nos paquets et nous avons pris nos jambes à notre cou. Il y allait de notre vie.
- Et tu es sûr que personne ne t'a suivi jusqu'ici? demanda le chef inquiet. C'en serait fait de nous si, sur tes traces, ils découvraient notre cachette!
Si les ordres formels du Rabbin ne nous enjoignaient pas de l'attendre ici-même, je crois que la seule chose raisonnable à faire serait de quitter ces lieux au plus vite. Soudain, On entendit quelqu'un se glisser dans l'entrée de la cachette. Les hommes attendaient, retenant leur souffle.
A leur grand soulagement, c'était l'un des hommes qui avaient accompagné Reb Chmelké. Derrière lui, penaud, arrivait Yossel.
Le messager du Rabbin leur dit aussitôt qu'il venait avec des ordres de ce dernier qui n'ignorait rien des agissements insensés du forgeron.
En prévision de la possible découverte de la cachette par les Nazis, Reb Chmelké leur ordonnait donc de la quitter sur-le-champ et de se diriger, sous la conduite de son second, vers une grotte proche de la frontière hongroise.
Le Rabbin leur promettait, avec l'aide de Dieu, de les rejoindre à la première nuit de 'Hanouccah, comme convenu. Mais ce déplacement en direction de la frontière était plus facile à dire qu'à réaliser. Voyager de jour était hors de question.
Ils se mirent tout de même en route quand la nuit fut tombée. Plus d'une fois, ils eurent à changer d'itinéraire afin de faire perdre leur piste aux soldats nazis chargés de fouiller la forêt dans tous les sens pour découvrir les groupes de partisans juifs. Une fois, un chien policier entra dans la cachette où ils attendaient la fin du jour. Les hommes le réduisirent au silence au moyen d'un morceau de viande empoisonnée. Ils durent ensuite quitter la place sans tarder, avant que les Nazis ne s'aperçussent de l'absence de leur "détective".
YOSSEL VEUT REPARER LE MAL
Trois jours avant 'Hanouccah les partisans arrivèrent sains et saufs à destination. L'attente impatiente du retour du Rabbin fut interminable.
Vint enfin la veille de la fête. Le chef du groupe demanda un volontaire pour aller à la rencontre de Reb Chmelké.
Il y en eut plusieurs, et parmi eux, Yossel. A la surprise générale, le chef choisit ce dernier; il lisait dans son regard et dans toute son attitude un grand désir de réparer le mal qu'il avait fait.
Le lendemain, armé de son fusil, Yossel quitta la cachette et disparut bien vite dans le brouillard de l'aube. Une heure plus tard, il était de retour.
Une grande pâleur avait envahi son visage.
- Nous sommes perdus, dit-il d'un air sombre. Une troupe. de Nazis, à cinq cents mètres d'ici, est en train de ratisser la forêt avec l'aide de chiens policiers.
- Nous nous battrons jusqu'au dernier homme, dit le chef avec détermination. Et si c'est la volonté de Dieu que nous périssions en cette veille de 'Hanouccah, un exemple glorieux nous a précédé, celui des vaillants Macchabées.
Peu de temps après, les aboiements encore lointains des chiens se firent entendre. Ils approchaient rapidement.
Les partisans retenaient leur souffle et, tandis qu'ils demandaient du fond du cœur à Dieu d'accomplir un ultime miracle, leurs poings se serraient sur leurs armes, le doigt sur la gâchette. Ils étaient prêts au pire.
LE RETOUR DU RABBIN
Soudain, les accents d'un violon vinrent rompre le silence, mêlés aux aboiements des chiens. Puis ce furent des cris sauvages, et le violon se tut.
Quelques minutes encore, et l'on entendit le son d'un clairon, accompagné de nouveaux cris et d'aboiements qui, peu à peu, s'éloignèrent jusqu'à se perdre tout à fait.
Encore tout bouleversés par la peur, mais déjà soulagés, les hommes demeuraient immobiles dans leur cachette.
Etait-ce un miracle ou un piège? Et leur Rabbin bien-aimé était-il sain et sauf? Pourtant, son violon s'était tu.
L'incertitude était intolérable. Cependant, ils n'osaient bouger. Il n'y avait qu'à attendre... attendre et espérer...
Qu'on imagine leur joie quand, tard dans la nuit, plein de dynamisme et d'entrain, Reb Chmelké revint. Les hommes le serrèrent à tour de rôle contre leurs poitrines, lui posant toutes sortes de questions.
- Plus tard, plus tard, mes amis. Allumons maintenant la première bougie de la fête, dit le Rabbin.
Et tandis qu'au fond de la grotte la flamme de la minuscule bougie de 'Hanouccah palpitait joyeusement, Reb Chmelké leur dit avec simplicité :
- J'étais sur le chemin du retour quand je découvris soudain le danger qui vous menaçait. Je dissimulai alors mes paquets sous un tas de feuilles mortes, je m'éloignai et commençai à jouer de mon violon.
Presque aussitôt, je fus entouré par des Nazis. Ils avaient entendu précédemment ma musique. Fatigués de vous donner la chasse, ils furent satisfaits de l'agréable diversion que je leur offrais.
Je demandai à boire. Ils arrêtèrent leurs opérations et m'emmenèrent au village.
Je les y laissai quand ils furent tous ivres, et je vins vers vous...
Mais assez de toute cette histoire. J'ai promis de vous jouer à nouveau "Maoz Tzour Yechouati"; alors rendons grâces à Dieu pour le merveilleux miracle qu'Il vient d'accomplir.
Une fois encore, les notes douces du violon de Reb Chmelké se firent entendre. Et tous les hommes, dans un élan de grande ferveur, accompagnèrent en chantant: "Dieu est le Roc de mon salut".
La Ménorah d'argent
Abraham, le père de Diego, était un homme à la fois érudit et riche. Il était connu dans toute l'Espagne pour ses chefs-d'œuvre en argent ciselé. Aucun autre argentier ne l'égalait et personne n'était plus capable que lui de faire des gobelets décorés de fleurs ou de têtes d'animaux.
Nul ne savait donner au métal une telle douceur et une telle vivacité. Cet homme était devenu un des chefs les plus riches et les plus honorés de la communauté juive de Burgos.
A cette époque, de sombres nuages apparaissaient à l'horizon de la vie heureuse que menaient les juifs d'Espagne. Nombreuses étaient les villes qui étaient témoins de persécutions juives et l'Inquisition marquait le pas.
Parmi les pires ennemis des Juifs se trouvaient des renégats convertis qui essayaient de surpasser les Chrétiens en cruauté, en torturant leurs coreligionnaires. Un de ceux-ci, Paulus de Burgos, de triste réputation, sema la mort et les souffrances parmi des milliers de familles juives, faute de pouvoir les convertir.
Abraham avait des amis puissants.
Un commerçant de Rome qui autrefois était un de ses admirateurs et un de ses meilleurs clients, usa de son influence pour obtenir sa libération. De plus, il lui paya son voyage ainsi qu'à sa femme et à son fils, Diego.
Ils s'étaient embarqués sur un bateau portugais dont le capitaine ne perdait aucune occasion de voler aux réfugiés juifs, si éprouvés, les derniers biens qui leur restaient, et de les faire mourir en les privant de nourriture et en les forçant à vivre dans des conditions insalubres.
Les parents de Diego ne résistèrent pas à cette épreuve et moururent avant que le bateau atteignit le port de Gênes. Alors, le capitaine, une vraie brute, fit envelopper leurs corps dans une toile grossière et les jeta à la mer. Diego, jeune garçon de douze ans, était maintenant tout seul au monde.
A Gênes, les malheureux passagers quittèrent le bateau et Diego trouva refuge auprès d'une riche famille juive.
Mais il ne devait pas y rester longtemps, car le Conseil Municipal ordonna à tous les juifs espagnols de quitter Gênes dans les deux jours.
C'est ainsi que le pauvre enfant reprit son voyage dangereux, privé de tendresse et d'une vie régulière nécessaires à un garçon de son âge.
Il se joignit à un groupe de Juifs qui avaient entendu parler d'un pays septentrional, la Hollande, qui, disait-on, était prête à recevoir les réfugiés juifs espagnols.
Ils avaient également entendu parler de Dona Gracia et de son neveu, Don Joseph Nassi, qui donnaient sans compter, leurs richesses, qu'ils avaient réussi à sauver, pour venir en secours à leurs frères en détresse qui, bien que chassés et méprisés, étaient néanmoins fiers de leur passé.
Le groupe auquel s'était joint Diego allait de ville en ville, demandant des aumônes et vendant les derniers biens qui lui restaient. Abraham n'avait pas pu emporter grand chose, et lorsqu'il mourut, il ne laissa que très peu à son fils.
Pendant ces mois de voyages incessants, Diego avait perdu ou vendu tout ce qu'il avait hérité de son père.
II n'avait gardé qu'un seul objet qu'il portait cousu dans son costume de velours bleu foncé : une belle petite Ménorah (un candélabre) en argent.
Il l'avait reçue de son père le jour de son anniversaire et celui-ci lui avait demandé de ne jamais s'en défaire, même dans les jours de détresse.
C'est la raison pour laquelle le pauvre garçon n'avait gardé, en souvenir de son cher père, que cette Ménorah qui était un vrai chef-d'œuvre.
Il se sentait souvent près de mourir de faim, mais à aucun moment l'idée ne lui vint de se séparer de cette petite Ménorah.
En effet, ce petit candélabre était le dernier maillon que le liait à un monde qu'il avait perdu et qui, dans sa détresse actuelle, lui semblait un paradis qui n'existait que dans des rêves.
Après un voyage mouvementé le long de la côte méditerranéenne, Diego et son groupe arrivèrent en France. Là, ils suivirent la vallée du Rhône, jusqu'à ce qu'ils arrivèrent au Rhin.
Nulle part, ils ne recevaient l'autorisation de rester plus de quelques jours. Beaucoup de ceux qui avaient un certain âge, ne purent supporter les fatigues et les tourments de ce pénible voyage et moururent.
Diego qui avait été un garçon fort et plein de santé, devenait pâle et commençait à perdre ses forces. Il aurait péri depuis longtemps pendant ce périple si le vieux Rabbi Jacob de Castillo n'avait pris soin de cet orphelin comme de son propre fils.
Car ce vieillard intelligent, au caractère endurci par de longues années de voyages et de souffrances et connaissant bien la vie, trouvait toujours une solution pour aider et réconforter le jeune homme.
Rabbi Jacob de Castillo apprenait à Diego la source du Judaïsme et la tradition juive, lui expliquant pour quelle raison il devait tant souffrir, tandis que d'autres enfants pouvaient s'amuser dans les rues, protégés par leurs parents.
Il lui apprit à rester fier et à ne pas perdre sa dignité malgré les jurons et les pierres jetés contre les Juifs.
C'est ainsi que les deux hommes, le vieux Rabbin et le jeune Diego, longeaient le Rhin.
Il leur arriva plus d'une fois d'être jetés dans d'infectes prisons ou d'échapper à la dernière minute à un danger mortel.
C'était déjà l'hiver lorsqu'ils arrivèrent à Spire. Dans cette ville, il était interdit à tout Juif de passer la nuit, car le Prince les avait tous chassés de son territoire.
Pour comble de malheur, Rabbi Jacob tomba subitement malade, terrassé par une pneumonie qu'il avait attrapée en dormant par terre dans une forêt par une froide nuit d'hiver.
Diego fut obligé de le transporter dans un petit village non loin de Spire où il loua une modeste chambre dans une simple auberge au bord de la route.
Là, dans cette pièce nue, Rabbi Jacob rendit l'âme, laissant Diego tout seul dans un monde cruel et hostile.
Après avoir enterré son ami et professeur, Diego poursuivit sa route jusqu'à ce qu'il arrivât un soir dans une petite ville.
Là, il vendit les vêtements du Rabbin et avec l'argent il acheta un morceau de pain et loua une chambre.
En réalisant que c'était la première nuit de 'Hanouccah et aussi son anniversaire, il ne put résister, et avec le peu d'argent qui lui restait il se procura deux petites bougies.
Puis, il revint dans sa chambre, ouvrit la couture de son costume de velours et en sortit la petite Ménorah en argent.
Il la polit jusqu'à ce que l'argent brillât de tout son éclat, et il alluma la première bougie de 'Hanouccah.
En voyant la petite flamme vaciller et la bougie se consumer, de grosses larmes coulèrent sur ses joues.
II resta longtemps devant ce feu sacré, se remémorant le vieux temps lointain où il était si heureux et oubliant complètement sa chambre froide et la situation désespérée dans laquelle il se trouvait.
Il caressa la petite Ménorah, touchant tendrement de ses mains ses parties ouvragées et les boutons de fleurs qui couvraient toute sa tige.
Tout d'un coup, la partie inférieure de la Ménorah s'ouvrit, car sans s'en rendre compte, il avait poussé un bouton déclenchant un mécanisme secret grâce auquel on découvrait l'intérieur de la Ménorah.
Craignant d'avoir cassé le seul cadeau qui lui restait de son cher père, il examina l'ouverture et y trouva une pochette remplie de diamants.
A la partie supérieure de la Ménorah, là où la tige était surmontée d'un Maguène David, il trouva un petit morceau de parchemin.
Ses larmes mouillèrent cette écriture de son bon père qui, des années après sa mort, s'adressait ainsi à lui, lui disant qu'il lui avait fait cadeau de cette Ménorah pour son troisième anniversaire, dans l'espoir que ce trésor caché lui rendrait service un jour, en cas de besoin.
En effet, ce père intelligent avait bien prévu les choses, car dans la situation désespérée dans laquelle se trouvait maintenant son fils, les pierres précieuses lui étaient d'une aide inimaginable.
Vendant les diamants, Diego se réserva une place sur un bateau en partance pour Amsterdam.
Après plusieurs semaines de voyage agréable, il arriva dans cette ville puissante qui, à cette époque, était le port de refuge de toutes les victimes des persécutions.
Il reprit le métier de son père et devint un joaillier et un argentier de renom.
Il en garda la petite Ménorah sous un globe de verre dans sa salle à manger, et bien que des amateurs d'art lui eussent offert de grosses sommes d'argent pour ce chef-d'œuvre, pour rien au monde il n'eût voulu le vendre.
Pendant des centaines d'années cette petite Ménorah resta dans les mains de ses descendants qui racontaient son étrange histoire à tous ceux qui leur rendaient visite.
Extrait de Conversation avec les Jeunes
Hannoucah dans les bureaux du NKVD
Lemberg, hiver 1945.
La guerre est terminée. Des dizaines de milliers de polonais réfugiés en Russie ou englobés à la suite d'échanges de territoires avec l'Allemagne nazie sont autorisés à rejoindre la Pologne. Une aubaine pour des dizaines, sinon des centaines de milliers de russes fuyant la dictature communiste, qui se pressent dans les points de passage où ont lieu ces échanges de population.
Nombreux sont les juifs parmi ces fuyards, qui n'ont de polonais que les faux papiers.
Parmi eux, Leizer et Vichnetski, terrés avec 21 autres jeunes juifs dans un appartement de Lemberg (Lvov).
Chaque sortie représente un risque pour des gens privés de toute autorisation de séjour, et les "sans papiers" sont mis en prison, jugés et mis au frais en Sibérie. Leizer et son ami sont chargés de l'approvisionnement et des démarches "officielles". On vient d'apprendre que les quotas d'échange ont été atteints et que les bureaux de réception des réfugiés vont fermer…
Les plus clairvoyants des uns se préparent à retourner dans leur ville d'origine avant de perdre leur vrai droit de séjour, tandis que les plus clairvoyants des autres s'acharnent à trouver un moyen de sortir de l'enfer totalitaire qui étreint la Russie.
Nos amis font partie de ces derniers. Leur projet est de rejoindre la Palestine, terre de leurs ancêtres, où la vie juive renaît.
Des milliers de juifs sont massés devant la "Maison de la Communauté". Cet ancien bureau d'aide sociale que le gouvernement russe avait mis en place pour prouver son attention pour les personnes déplacées est aujourd'hui ouvertement un bureau du NKVD.
C'est ici que sont accueillis les juifs citoyens polonais qui viennent demander leur rapatriement en Pologne.
C'est ici que siège Boris Sapokoïni, haut fonctionnaire du gouvernement russe.
Sa réputation de bienfaiteur est arrivée jusqu'au fin fond de la Sibérie et de l'Ouzbékistan, et la légende dit qu'il est d'Odessa, qu'il a étudié dans des Yéchivot, qu'il est expert dans les petites lettres, ces commentateurs écrits en minuscule dans les éditions du Talmud, que ses conversations sont émaillées de versets et de citation midrachiques, et surtout … qu'il aide tout le monde.
C'est sur lui que Leizer et ses amis comptent, mais la difficulté est d'arriver jusqu'à lui. L'étau policier semble se resserrer autour d'eux, et ils n'ont guère le choix: Foncer!
Leizer et Vichnetski sont à nouveau choisis pour tenter l'ultime démarche: approcher Boris Sapokoïni.
Bien qu'il soit considéré comme un juif bon, personne ne le connaît vraiment. La seule certitude, c'est qu'il fait partie du NKVD, et que sa porte s'ouvre vers la Terre d’Israël … ou vers les camps de travaux forcés en Sibérie.
Mais comment arriver jusqu'à lui? Son bureau était dans les locaux de la milice policière, et de plus on ne recevait plus les demandes de transfert et il n'avait pas d'horaires de présence fixes.
Une nuit, nos deux comparses vinrent bavarder avec le gardien de la "Maison Communautaire". Un bon pourboire eut raison de ses scrupules, et ils apprirent l'adresse privée et très secrète de Boris Sapokoïni.
Vichnetski avait déjà fait demi-tour, lorsque le regard de Leizer fut attiré par une liasse de papiers jetés devant l'entrée.
Il en ramassa un discrètement. Ce n'était ni plus ni moins que les formulaires de demande de transfert.
Chaque papier comportait dix lignes, pour dix personnes ou dix familles.
Après avoir vérifié que personne ne le regardait, il prit deux autres formulaires, puis rejoint Vichnetski dans sa route vers leur cachette.
Il passa une grande partie de la nuit à remplir de sa plus belle écriture le formulaire pour tous ses compagnons.
Le lendemain matin, ils étaient tous deux devant la porte du domicile de Boris Sapokoïni.
A 8 heures et demi la porte s'ouvrit sur un personnage haut de taille, rasé de près, qui respirait la santé et à l'allure assurée.
Leizer sentit une sueur froide le traverser. "Il est encore temps de ne rien faire" pensa-t-il un très bref instant.
Mais il n'avait pas le choix. En un bond, ils étaient devant lui.
- "Qu'est ce? Qui êtes vous? Suis je votre prisonnier?" s'indigna Boris Sapokoïni en se dégageant.
- "Nous sommes venus au nom de quelques jeunes juifs et si vous ne nous aidez pas à partir pour la Pologne, il ne nous reste qu'à nous suicider. Notre sort est entre vos mains!"
Sapokoïni fit mine de ne pas comprendre, mais s'arrêta de marcher.
- "Je ne veux pas entendre parler de vous, il n'y a plus rien à faire, vous êtes venus trop tard. Plus aucune demande ne peut être présentée" rugit il.
"Et qui vous a donné mon adresse?". Visiblement, il était sur ses gardes. Après un regard circulaire sur toute la rue, il rajouta à mi-voix "Vous avez la liste de vos gens?"
Leizer n'en croyait pas ses oreilles.
Sans trop réfléchir, il sortit de sa poche les formulaires.
Après un bref coup d'œil, l'officier lui dit: "une belle écriture. C'est l'écriture de quelqu'un doué. Et en plus de quelqu'un qui écrit aussi en Yiddish. Des belles lettres arrondies, comme ça… Nous en Russie, on aime une telle écriture. Et ça attire la confiance! Bon, je vais aujourd'hui à la dernière réunion du comité, et je vais essayer de faire passer votre demande dans la pile des autorisations."
Il mit les papiers dans sa poche, puis reprit d'une voix furieuse:
- "Non, vous ne partirez pas!" Il leur fallut un certain temps pour comprendre le jeu de Sapokoïni.
Il avait fait quelques pas en avant, mais revint vers eux.
-"Si j'ai bien compris vous êtes tous célibataires? Chacun d'entre vous aurait pu s'associer une "épouse" et 23 jeunes filles juives de plus auraient pu quitter ce pays!
250.000 réfugiés juifs polonais se trouvent coincés en Russie, et parmi eux près de cent mille célibataires.
Si chacun prenait avec lui une jeune fille juive russe, on pourrait en sauver cent mille! Vous n'avez donc pas appris que "quiconque sauve une vie juive c'est comme s'il avait sauvé le monde entier"? Je ne sais pas si l'histoire juive vous pardonnera une telle chose!
Vous vous prétendez sionistes. Qui vous a permis de renoncer à une occasion historique exceptionnelle que nous attendons depuis plus de trente ans.
Se représentera-t-il une autre occasion de sauver des dizaines de milliers de juifs de cette Russie? Vous êtes des criminels!
Vous ne devriez pas avoir peur et ne vous soucier que de vous. Si moi j'avais voulu sauver ma peau, ça fait longtemps que je ne serais plus ici. L'Histoire n'oubliera pas de telles choses!"
Et il repartit à grands pas.
- "Vous avez raison, mais ça ne marche que pour des réfugiés polonais. Nous sommes ici en danger permanent, la police nous traque, et chaque instant de trop peut être fatal".
- "Je ne vous promets rien" grommela-t-il à haute voix", suivi à voix basse d'un "venez ce soir à 8 heures à mon bureau, je m'occupe de votre groupe".
Lvov, 1er soir de 'Hannoucah.
On vient d'allumer les bougies dans la synagogue de la rue Slonshna.
L'ambiance n'est pas à l'enthousiasme dans la synagogue. Une poignée de vieillards s'y attardent à prier et allumer leur bougie, et dans un coin, Leizer et Vichnetski attendent leur heure, en contemplant les bougies qui évoquent le miracle de la délivrance.
Un peu comme ce qui leur est arrivé ce matin. Mais cela va-t-il aboutir?
Par des chemins détournés, les voici devant l'office du NKVD. A huit heures du soir, le couloir devant le bureau de Boris Sapokoïni est encore rempli de monde.
Ceux qui sortent sont interrogés par ceux qui attendent: quelle date leur a été fixée pour obtenir le permis collectif de voyager que doit signer le directeur des transferts à la gare? Sans ce précieux document, délivré pour un groupe de dix personnes, ils n'auront pas le droit de monter dans le train.
A huit heures précises, la porte s'ouvrit sur la carrure de Boris Sapokoïni. "Leizer et Vichnetski!". Nos amis le suivirent dans le bureau.
Il s'assit derrière son bureau, leur adressa un petit sourire. "Tout va bien!" Il se releva et leur tendit des papiers.
"Tout est là. Vous partez ce soir par le train de minuit. Voici l'autorisation de la direction des chemins de fer. Je n'ai pas voulu vous faire prendre le risque de vous aventurer à la gare vous mêmes.
Normalement, chaque voyageur transféré doit se présenter lui même au commissariat de la gare, mais vous en êtes dispensés. Vingt d'un coup ça aurait fait un peu gros! Bon voyage!"
Il leur serra chaleureusement la main.
- "Pour tout vous dire, votre initiative de ce matin m'a beaucoup plu. Elle m'a donné confiance en vous, et c'est pourquoi j'ai tout fait pour vous faire évader d'ici.
Maintenant que vous êtes libres, vous allez me laisser votre argent. Il y a encore malheureusement beaucoup de monde que cela soulagera. Combien avez vous?"
Leizer sortit de sa poche les dix mille roubles qui avaient été préparés pour acheter Sapokoïni. Il leur laissa deux mille roubles puis ouvrit la porte, appela quelques uns de ceux qui patientaient devant sa porte et leur distribua l'argent.
"Leizer, tu restes avec moi". Il appela le gardien et lui demanda à ne pas être dérangé, puis ferma la porte, tira les volets, baissa les rideaux, et pria Leizer de s'asseoir.
Un long silence traduisait son embarras.
"Je veux bien croire que vous êtes des sionistes, et je voudrais profiter de cette occasion pour vous dire quelques mots à l'intention des juifs du monde entier.
Nous sommes avec vous, entièrement avec vous. Nous ne vous avons pas oublié. Mais nous avons le sentiment amer que vous nous avez oublié. C'est une sensation très désagréable.
J'étais jeune à l'époque de la Révolution. J'avais appris dans des 'hadarim, puis dans des Yéchivot. Je suis encore capable d'étudier une page de Guemara.
Ca fait longtemps que j'aurais pu traverser la frontière et m'associer à vous, mais je suis nécessaire ici.
Je sais parfaitement le sort qui attendait les milliers de juifs qui sont passés entre mes mains si je n'avais pas été dans ce bureau.
Mais je sais maintenant qu'il approche le jour où je pourrais vous rejoindre.
Les échanges de population arrivent à leur fin, encore quelques trains et je serai du voyage, je vous le promet.
Mon neveu m'attend déjà de l'autre côté de la frontière. Si vous le rencontrez, dites lui que tonton arrive." Boris Sapokoïni était enfoncé dans ses pensées, lourdes de soucis.
Leizer rompit le silence. "Tu sais que ce soir c'est Hannoucah?"
"Hannoucah" reprit Sapokoïni comme en écho. "Le premier soir, tu as dit? Je ne le savais pas du tout"
Il sembla plein de nostalgie. "Ces soirs de Hannoucah chez mes parents. Mon père, avec sa barbe magnifique allumant les bougies avec de l'huile d'olive précieusement gardée malgré la disette, tous les enfants qui reprennent "Hanérot Hallalou".
Il se redressa, sorti une allumette et alluma une bougie plantée sur une bouteille, devant un buste de Staline.
De quoi se retrouver, en cas de panne d'électricité. Il fredonna "Hanérot Hallalou".
Dans la pénombre de la pièce, la bougie répandit une lueur quasi magique. Il entoura la flamme de ses paumes. Comme quelqu'un qui veut se réchauffer les mains ou protéger la flamme.
"Hannoucah, Hannoucah … Mais il y a t il encore des miracles de nos jours? Seul un miracle peut nous sauver.
Mais vous, vous allez voir sous peu une grande lumière. Viens chez moi ce soir avant de partir. De toute façon vous n'avez plus aucune démarche à faire, et en plus vous connaissez mon adresse"
Quand Leizer quitta le bureau le gardien demanda si les audiences allaient recommencer.
"Non pas tout de suite". Il resta isolé dans son bureau uni à la petite flamme de Hannoucah qui brûlait sur sa table.
A dix heures du soir, Leizer frappait à la porte de Boris Sapokoïni.
Un thé chaud l'attendait et un Boris Sapokoïni bien plus détendu que dans son uniforme.
Il raconta longuement les souvenirs de sa maison paternelle, de sa mère, une Juste d'entre les Justes, de l'école de son enfance et de son Mélamed, de ses amis du Héder. Lorsque Leizer lui demanda de quelle ville il était originaire, il prit un visage grave.
"Leizer, tu sais, mon père était un 'Hassid de rabbi Chmouel de Loubavitch et de Rabbi DovBer. C'était un 'Hassid Schneerson, comme le grand père. Moi même j'ai étudié chez Loubavitch, mais les événements de la vie m'ont entraîné dans des endroits bien différents. Jusqu'à la situation où tu me vois."
Sa voix s'étrangla dans un sanglot.
"Saches que ces derniers mois, j'ai aidé les 'Hassidim Loubavitch à fuir la Russie. Des milliers ont pu quitter ce pays maudit par le seul fait que j'ai signé illégalement leur passeport de ma propre initiative. Peut être est ce seulement pour cela que je suis arrivé à ce poste…"
Peu avant minuit, 23 ombres se faufilèrent vers la gare de Lvov, par petits groupes. A minuit pile, le train qui les emportait vers la Pologne, vers la liberté, quittait la gare.
Ils avaient été libérés le soir de Hannoucah le soir où l'on célèbre les miracles opérés "en ces jours là, en ces temps ci".
Lorsque Leizer raconte son histoire, en allumant la première bougie de Hannoucah, il se demande encore si ce juif en uniforme militaire se réchauffait à la lueur des bougies ou s'il cherchait à les préserver, à assurer la pérennité de la flamme juive.
Et quelles étaient ses pensées lorsqu'il s'est isolé avec sa petite bougie dans son bureau du NKVD?
Boris Sapokoïni ne put jamais réaliser la promesse faite à son neveu et aux milliers de juifs qui l'attendaient de l'autre côté de la frontière.
Il fut arrêté quelques semaines plus tard, et exécuté dans les sous sols de la prison centrale de Lvov.
Que D.ieu venge son sang et le sang de tous les martyrs de notre peuple.
Traduit par Aharon - www.milah.info
Un rabbin écouté.
C'était un après-midi tranquille à Tbilissi, la capitale de la Géorgie soviétique. 'Hakham Yaakov Dovershvili, le Grand Rabbin de la ville, enseignait la Torah à ses élèves comme d'habitude.
Le cours se termina.
Un homme s'approcha alors de lui, il était vêtu comme un paysan; il demanda à lui parler dehors.
Mais une fois dehors, il ouvrit un peu son manteau: glacé d'effroi, le 'Hakham Yaakov s'aperçut que son interlocuteur portait un uniforme de la police.
"Tu es arrêté" dit le policier en civil. Et il l'amena au poste. L'arrestation s'était produite en silence et sournoisement afin de ne pas ameuter la communauté juive qui aimait beaucoup son rabbin:
non seulement il était versé dans l'étude de la Torah, mais il savait instinctivement trouver le chemin du cœur de chacun.
Cela faisait déjà des dizaines d'années qu'il était au service de sa communauté et il avait formé des générations d'étudiants qui à leur tour étaient devenus rabbins.
On était en 1923 La Révolution Bolchevique de 1917 avait mis six ans avant d'atteindre la Géorgie en Asie Centrale, et de réprimer toute velléité anticommuniste; les premières victimes en furent bien sûr les Juifs et surtout leurs leaders.
Rabbi Yossef Its'hak Schneersohn
Le 'Hakham Yaakov qui était un adepte de Rabbi Yossef Its'hak Schneersohn de Loubavitch savait qu'il figurait en bonne place sur la liste.
Au poste de police, 'Hakham Yaakov rencontra dix autres notables de la communauté qui avaient été arrêtés de la même façon que lui, chacun sous un autre prétexte. Mais ils ne purent discuter très longtemps ensemble, chacun ayant été placé dans une cellule différente, petite et humide.
'Hakham Yaakov attendait avec inquiétude la suite des événements.
Les jours passaient. Les interrogatoires se succédaient, longs, fatigants et souvent accompagnés de coups et de tortures.
'Hakham Yaakov revenait à chaque fois dans sa cellule, brisé physiquement, angoissé, à bout de forces.
Un soir qu'il revenait d'une de ces séances épuisantes, alors que tout son corps n'était qu'une plaie béante, il réussit avec peine à s'endormir.
Et déjà on le réveilla pour continuer "l'instruction du procès".
Avec peine il se traîna jusqu'au bureau des interrogatoires et parvint à s'asseoir: l'équipe des policiers frais et dispos en face de lui ne dissimulait pas une satisfaction sadique, si près du but: il allait sûrement céder maintenant.
Mais cette fois-ci, au lieu de répondre aux sempiternelles questions à propos de ses "complices" et de ses activités "contre-révolutionnaires", 'Hakham Yaakov demanda la permission de raconter une histoire.
Intrigués, les policiers la lui accordèrent.
"C'était à l'époque de l'Inquisition en Espagne.
Les Chrétiens avaient accusé les Juifs de Madrid d'avoir tué un enfant catholique pour utiliser son sang pour la cuisson des Matsot: une fois de plus, l'accusation de meurtre rituel.
Cette accusation aussi stupide que criminelle, était utilisée contre des innocents.
Le Rav de la ville avait été jeté en prison, alors qu'il était âgé et malade. Il ne put supporter les supplices qu'on lui infligeait et finit par "avouer" tout ce qu'on voulait".
Tout en parlant, 'Hakham Yaakov roula la manche de sa chemise, et remonta le bas de son pantalon, montrant ainsi aux policiers les traces de coups et de tortures qu'il avait subies. Les policiers se regardaient sans comprendre. Il continua son histoire.
"Lorsque le roi apprit ce qui s'était passé, il ordonna que tous les condamnés périssent d'une mort atroce:
on les ferait entrer dans des tonneaux à moitié remplis de clous qu'on ferait rouler dans les rues de la ville.
Au jour dit, le roi prit le privilège d'être celui qui forcerait le Rav à entrer dans le tonneau. Mais à ce moment-là, il fut frappé d'un malaise et s'évanouit.
Quand il reprit ses esprits, il reconnut que c'était là la main de D.ieu. Il ordonna une contre-enquête et la vérité se fit jour: les Juifs n'étaient pas coupables".
'Hakham Yaakov termina ainsi son histoire et se tut. Alors les policiers comprirent le sens de ses paroles.
Le commissaire sourit d'un air narquois et demanda: " Pourquoi alors ton D.ieu ne punit-il pas l'enquêteur qui, selon tes dires, t'a torturé pour t'arracher des aveux"?
'Hakham Yaakov ne s'émut pas de la question.
"Je ne mérite pas que D.ieu fasse pour moi un miracle comme Il a fait pour ce Rav en Espagne. Mais pour moi, il est clair qu'un jour viendra et D.ieu saura quoi faire à celui qui m'a fait du mal".
L'interrogatoire se termina ainsi. Toute la nuit, 'Hakham Yaakov ne put dormir car il se demandait s'il méritait que D.ieu venge ses souffrances.
Au matin, il entendit de nouveau le bruit des clés des gardiens, et fut saisi d'angoisse à l'idée des tortures qui l'attendaient.
Mais à sa grande surprise, il fut amené dans une grande salle, propre et confortable.
On le fit asseoir autour d'une table couverte de fruits et de toutes sortes de nourritures appétissantes.
N'en croyant pas ses yeux, il se dit que ce devait être encore une des ruses diaboliques de ses gardes.
Mais l'atmosphère était différente.
Les policiers le regardaient cette fois ci avec déférence, presque avec peur. Il ne comprenait pas pourquoi.
Pourtant bientôt il apprit ce qui s'était passé.
Le matin même, la fille de son "inspecteur" était tombée dans une bassine d'eau bouillante.
Elle était morte de ses brûlures.
Voyant cela, sa mère avait perdu la raison, s'était jetée par la fenêtre et était morte à son tour. La tragédie qui était arrivée à leur "collègue" avait bouleversé les policiers.
Ils se rappelèrent alors l'histoire de 'Hakham Yaakov. Le même jour, celui-ci était libéré. Il ne fut plus jamais inquiété.
Aharon ALTABE
Hannoucah à Bergen Belsen
Il était arrivé à Bergen Belsen par un des derniers convois. Reb Schmelke comme tous l'appelaient était un juif d'une soixantaine d'années, de grande taille et d'allure impressionnante.
Plus que tout, ses yeux dénotaient tout son être: ils exprimaient une chaleur humaine expansive, et plus encore une joie intérieure, marchandise rare et appréciée au milieu de l'ouragan qui traversait le monde juif de ces années là.
Il était passé par plusieurs camps de travail, comme la plupart des internés, et avait reçu sa part de souffrances: les coups, la faim, les humiliations. Malgré ceci, quelque chose dans son aspect et son comportement laissait entendre qu'il était un cran au-dessus de tout ça.
Son vrai nom était Reb Chmouel Schmelke Schnitsler, il était 'Hassid et Talmid 'Hakham (érudit), d'origine hongroise.
Nul ne savait d'où il tirait ses forces pour tenir le coup et soutenir ses compagnons de misère. Il semblait en tout cas disposer d'une source d'énergie inépuisable.
"Le Juif et le désespoir sont deux choses incompatibles" aimait-il à répéter autour de lui.
Il ne ratait pas une occasion d'organiser la prière en Minyan (groupe de dix) surtout le Chabbat, et le soir tous se regroupaient autour de lui pour écouter des histoires des Sages des générations passées ou présente qui transportaient ses auditeurs loin de leur sordide présent et leur faisaient oublier les coups et leur détresse.
Il avait su de plus trouver grâce aux yeux de certains des SS du camp, et ne manquait pas rassembler les cadavres de ceux qui étaient morts dans le camp.
La faim, la fatigue, le froid, les maladies frappaient sans cesse. Il allait chercher les corps dans les baraquements, s'efforçait de les traiter avec les honneurs dus à un mort.
Il effectuait son travail comme un sacerdoce semblable à celui de la 'Hevra Kadicha (société funéraire qui veille aux soins funèbres). des soucis d'un tout autre genre.
On était effectivement à quelques jours de 'Hannoucah selon ses calculs, et il se préoccupait de trouver de l'huile pour allumer les bougies.
Il en avait parlé autour de lui, mais qui pouvait posséder une telle marchandise dans ce camp? Mais il lui en fallait plus pour se décourager.
Autant que son envie d'accomplir la Mitsvah, il entrevoyait l'effet qu'aurait un tel geste sur le moral de ses frères.
Il souhaiterait justement que les lumières de 'Hannoucah viennent illuminer cette grande obscurité dans laquelle se trouvaient les juifs, qu'elles leur remémorent la victoire d'une minorité sur le grand nombre, la victoire de la pureté sur l'impureté …
L'avant veille de 'Hannoucah, alors que Reb Schmelke se hâtait vers une des baraques pour en ôter un mort, son pied glissa dans un trou, non loin de la clôture du camp. De fait, on avait creusé ici un trou, mal rebouché.
Jetant un coup d'œil, Reb Schmelke y aperçut un objet brillant. Il s'accroupit, remua un peu la terre, et en extrait une petite bouteille, remplie d'un liquide épais.
Après avoir ouvert le bouchon, il se rendit à l'évidence: c'était de l'huile!
Sous le flacon, il semblait se trouver autre chose. Creusant encore un peu, il en vint à se demander s'il avait perdu la raison: au fond du trou, un petit sac de tissu contenant huit godets et huit mèches!
Reb Schmelke remit son trésor miraculeux au fond du trou.
Ce serait trop bête de se faire prendre d'ici demain soir avec de tels objets sur soi.
Toute la journée, il vaqua à ses occupations, en demandant à la ronde si … quelqu'un n'avait pas caché de l'huile dans un coin. Ses compagnons le regardèrent en se demandant s'il n'était pas tombé sur la tête.
Le lendemain soir, tous ses compagnons de chambre se pressèrent autour de Reb Schmelke pour allumer la première bougie.
Avec une émotion intense, Reb Schmelke récita les bénédictions de l'allumage.
Baroukh Ata … acher kidechanou bemitsvotav vetsivanou lehadlik ner 'hannoucah.
Baroukh …ché-assa nissim la-avoténou bayamim hahem bizman hazé.
Baroukh … chee’heyanou vekiyemanou vehiguianou lizmane hazé.
Il tremblait de tout son corps lorsqu'il approcha l'allumette de la petite mèche.
Et 'Hannoucah fut ainsi fêté à Bergen Belsen durant huit jours.
Les jours passèrent, les semaines passèrent, les mois passèrent. Reb Schmelke poursuivit son travail au camp, tant auprès des morts qu'avec les vivants qu'il s'efforçait de "faire vivre". Il survécut à la désintégration de la puissance allemande, à la libération du camp.
Il retourna en Hongrie pour tenter de rassembler tous ceux qui avaient survécu sur place ou qui étaient rentrés après la libération des camps, et quitta la Hongrie pour le monde libre.
Des années plus tard, ses voyages l'amenèrent jusqu'aux Etats Unis où il rencontra le Rabbi Yoël Teitelbaum, Rabbi de Satmar.
Le Rabbi avait déjà entendu parler de lui et de sa forte personnalité, et le reçut avec chaleur. Au cours de la conversation, il déclara:
"J'ai entendu que tu as allumé les bougies de 'Hannoucah à Bergen Belsen!?
Mais d'où le Rabbi a-t-il entendu ceci?
J'ai entendu, j'ai entendu…" répondit le Rabbi avec un large sourire.
Puis il se pencha vers Reb Schmelke:
"C'est moi qui ai caché là bas l'huile et les mèches avant d'être libéré de façon miraculeuse de ce camp."
Reb Schmelke dévisagea avec stupeur le Rabbi.
"J'étais sûr qu'au bon moment, ceci serait trouvé par un homme capable de faire ce qu'il faut avec cette huile…"
Aharon ALTABE
Hannoucah au Goulag
'Rabbi Acher Sossonkin est une figure légendaire d'entre ces activistes 'hassidiques de Rabbi Yossef Its'hak, de ceux qui parvinrent à garder vivante la flamme du judaïsme dans les pires années de l'oppression soviétique.
Il passa de nombreuses années dans des camps de travaux forcés pour son "activité contre révolutionnaire".
C'est dans un de ces camps qu'il fit la connaissance de Na'hman Rozman. Na'hman avait abandonné dans sa jeunesse son éducation traditionnelle pour rejoindre les rangs du parti communiste.
Il avait servi dans l'Armée Rouge où il avait acquis une haute position, mais avait été arrêté pour trafic, et avait été condamné à une longue peine de travaux forcés en Sibérie.
Na'hman fut attiré par le personnage de Reb Acher, qui lui rappelait des scènes familières de son enfance et de la vie qu'il avait reniée.
Avec l'aide et les conseils de Reb Acher, il avait commencé à renouer avec la vie juive, dans des conditions où manger cacher, ne pas travailler Chabbath, distraire quelques minutes pour prier signifiait s'exposer à des sanctions éprouvantes, mourir de faim, et un lot quotidien de difficultés.
A l'approche de 'Hannoucah, Reb Acher fit part à son compagnon de son plan: récupérer une petite boite de conserve, la plus petite possible, conserver chaque jour un peu de la ration de margarine durant les deux semaines à venir, et confectionner des mèches avec des chutes de vêtement.
Et quand tout le monde dormira, on allumera sous la planche qui sert de lit…
"Jamais de la vie", s'écria Na'hman. Reb Acher, c'est 'Hannoucah, la fête des miracles! Pas question de faire la Mitsvah avec un truc rouillé pris dans les ordures.
Il nous faut une Ménorah, une vraie Ménorah, de l'huile, et on l'allumera à l'heure de l'allumage, et dans un endroit convenable.
J'ai quelques roubles de côté, pour aller discuter avec Igor de l'atelier du métal, et aussi quelques débiteurs à la cuisine avec qui je vais 'arranger.
Quelques jours avant 'Hannoucah, Na'hman vint montrer à Reb Acher sa Ménorah. Un vraie Ménorah. Certes un drôle de bricolage, mais elle alignait huit godets et un neuvième bien séparé pour le Chamach.
Le premier soir de 'Hannoucah, il posa sa Ménorah sur un tabouret à dans l'encadrement de la porte entre la pièce centrale de leur baraque et un débarras, remplit le godet de droite, et tous deux récitèrent les prières et allumèrent, comme des millions de leurs frères ce soir là, la première bougie.
Tout se passa sans incident ce soir là et les trois soirs suivant.
Les prisonniers avaient pour règle de ne pas dénoncer ce que faisaient les autres, et leurs compagnons de chambrée étaient habitués aux pratiques religieuses de leurs deux compagnons.
Le cinquième soir de 'Hannoucah, juste après l'allumage, la s'ouvrit brusquement.
Les prisonniers se figèrent sur place en voyant entrer un des hauts gradés du camp.
De telles inspections étaient fréquentes, mais elle ne manquaient pas de terroriser les prisonniers. L'officier allait parcourir la chambre, soulever les matelas, distribuer des sanctions pour une cigarette trouvée ou un morceau de pain caché.
"Jetez vite tout par la porte" lancèrent les prisonniers aux deux juifs qui essayaient de cacher de leur corps les flammes de la Ménorah.
Mais il était déjà trop tard. L'homme se dirigea droit vers eux, s'arrêta un long instant devant la Ménorah.
Puis il se tourna vers Reb Acher.
"P'yat? (Cinq?)"
"P'yat," répondit le 'Hassid.
L'officier fit demi tour et repartit sans un mot.
Aharon ALTABE