ZALMAN, Eliyahou, (Gaone de Vilna)

Un article de Biographies.

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né à Vilna en 1720 fils de CHelomo, connu aussi sous le pseudonime de Gra, l'une des plus importantes autorités du une des plus hautes autorités rabbiniques de l'époque moderne. Ses connaissances, dans le domaine du Talmoud comme dans celui de la Qabbale, étaient immenses. Il écrit peu d'ouvrages systématiques, mais ses disciples notent ses remarques sur la Bible, le Talmoud et les écrits sacrés. Opposé au hassidisme qu'il combat parce que, selon lui, ce mouvement accorde peu d'importance à l'étude. Ses ouvrages : Evene CHeléma, , renferme ses recommandations morales; Qol Eliyahou, , Commentaire sur la Bible et sur le livre de Iyob, Dévar Eliyahou, commentaire sur le Choulhane Aroukh, CHemot Eliyahou; commentaire sur la Michena et sur Michelè

Article de Kountrass

Source : http://kountras.magic.fr/k64gaon1.htm


En guise d'introduction

Deux grandes visions de l'Histoire s'opposent violemment, sans que le public ait même conscience de leur existence ! Elles se rattachent sans aucun doute au choix de prémisses philosophiques. La première concerne la Création du Monde pour les uns, ou son évolution depuis un incident nommé "Big Bang" pour certains scientifiques ; le second moment fort de la confrontation entre les deux écoles est celui de l'événement historique vécu par le peuple juif au Mont Sinaï, au moment du don de la Tora.

Selon les uns, le monde va depuis sa mise sur orbite dans le sens du progrès ; pour les autres, I'humanité n'a cesse de régresser ; le temps écoulé depuis le jour capital où nous étions au Mont Sinaï fait que cette expérience vécue perd de son impact. Selon les premiers, les scientifiques profanes, I'intelligence humaine va de réussite en réussite, les progrès - techniques il est vrai - ne font que contribuer à l'avancement de l'humanité ;

selon la vision toranique, des prophètes aux sages de la Michna, des maîtres de la Guemara aux Gueonim, puis aux Richonim et aux A'haronim, chaque génération ressent un recul selon l'expression de la Guemara - comme si les derniers étaient des hommes par rapport aux anges, ou, si l'on préfère, des ânes par rapport à des hommes !

De là, la césure absolue entre les périodes. Cela est vrai pour les prophètes, puisqu'il forment une catégorie à part, I'esprit de prophétie qui régnait effectivement sur eux les démarquant des autres d'une manière objective. Mais cela concerne également les générations suivantes : une barrière absolue sépare les maîtres de la Michna de ceux de la Cuemara, ou les Richonim des A'haronim, empêchant que les derniers puissent s'opposer aux premiers dans le domaine des conclusions halakhiques (soit dit au passage, certains intellectuels contemporains aiment présenter l'esprit de liberté qui régnerait, à leur sens, dans les textes du Talmud. C'est le contraire qui apparaît ici : la soumission intellectuelle par rapport aux anciens est très impressionnante).

Mais cette dichotomie entre Ies maîtres de la Michna et ceux de la Guemara pour absolue qu'elle soit, ne peut être imputée qu'au fait que les Amoraïm ont senti qu'ils n'avaient plus la force de s'opposer à leurs prédécesseurs, les rédacteurs de la Michna. Il en est de même pour la coupure ressentie entre les Richonim et les A'haronim. En fait, nul ne peut vraiment dater ce fait historique, et nul n'en a fourni une raison tangible. Simplement, à un certain moment ressenti comme décisif par ceux qui le vivent, la perte de valeur des générations fait que l'on change de clé de note. A partir de ce moment précis, les autorités rabbiniques perdent leur capacité de s'opposer à leurs prédécesseurs.

Cette analyse est évidente pour quiconque a approché un tant soit peu l'étude de la Tora au Beth haMidrach et elle est indispensable pour qui ne veut pas abolir les nuances fines et délicates de relations entre les générations de sages du monde de la Tora. Elle nécessiterait un développement en soi - mais cela se fera si D. veut à une autre occasion.

C'est une constatation historique immuable, interne au système juif. Elle supporte cependant des exceptions. Le Gaon en est une, aux côtés du Ari zal (rabbi Yits'haq Louria de Safed) et de quelques autres cas qui confirment la règle générale.

En ce qui concerne le Gaon, le phénomène est flagrant, et il a frappé ses contemporains: rabbi Eliyahou de Vilna a vécu au XVIIIème siècle, il est décédé voici tout juste 200 ans, mais son niveau transcende totalement sa génération. et celles qui l'ont précédé. Il peut s'opposer à des sages qui ont vécu quatre ou cinq siècles auparavant et se permet même certaines innovations dans la compréhension de quelques textes talmudiques !

Ce phénomène pose un véritable problème à qui tente de rédiger une biographie raisonnée d'un personnage aussi éminent mais qui dépasse d'une manière si marquée les autres grands du peuple juif : il faut expliquer pourquoi ce maître a pu se permettre une telle conduite et rendre une image d'une personnalité aux dimensions dépassant totalement son temps, tout en sachant que certains faits sembleront, à nos contemporains, par trop frappants ou par trop exagérés. Pourtant nos ancêtres et nos maîtres, auxquels nous accordons toute notre confiance, nous ont livré des témoignages visuels sur des faits et des actes incontournables.

Le Gaon vu par les autres autorités rabbiniques

En son temps déjà, les plus grandes autorités usent à son propos d'expressions qui, pour des maîtres qui pèsent leurs mots, ne peuvent que surprendre : "… Le Tana (= sage du temps de la Michna) divin", expression que l'on rencontre dans la bouche de rabbi 'Aqiva Eiger, est bien caractéristique de cette appréciation envers le Gaon,

Rabbi Eliyahou de Vilna est à juste titre appelé par tous le "Gaon". Ne s'agit-il pas d'un titre réservé traditionnellement, comme nos lecteurs le savent déjà, à des maîtres ayant vécu entre le moment de la clôture de la Guemara et la période des Richonim au Moyen Age, entre le Vème et le Xème siècle ? Si ce titre est employé à propos de rabbi Eliyahou, c'est que ses contemporains ont senti en lui une personnalité de même niveau (il est vrai que ce titre est donné aujourd'hui assez facilement sous forme de "harav ha gaon", mais ceci n'est que la conséquence d'une certaine inflation dans les titres rabbiniques )! Certains ajoutent que l'on ne pouvait être "gaon" à l'époque que si l'on connaissait les 60 traités de la Guemara sur le bout des doigts - "gaon" correspond en guematria au chiffre 60 ('Hida dans le haGuedolim). Or c'était bien le cas de rabbi = Eliyahou, qui dominait totalement tous les textes de nos maîtres.

Rabbi 'Hayim de Volozhyne, son grand disciple, qui sera le chef de la génération suivante, a envoyé une circulaire annonçant son projet d'ouverture de Yechiva - la première de l'époque moderne ! Il y écrit en particulier que certains le disent être le disciple du Gaon.

"Impensable!" s'exclame-t-il :

"Je sais que je ne suis pas arrivé à une conduite d'humilité conséquente, cependant c'est une règle de la Guemara (Yerouchalmi à la fin de Chevi'ith) qu'une personne qui ne connaît qu'un seul traité, et qui voit qu'on lui accorde de plus de respect que ce qu'elle mérite, se doit de dire quelle est la situation réelle. J'ai pour ma part entendu que l'on m'associait le nom de notre grand maître, connu de tout le peuple exilé, notre maître et notre enseignant, le saint du peuple juif et sa lumière le Gaon rabbi Eliyahou de Vilna, que son âme repose en paix !

Et j'ai de la sorte eu le mérite que l'on applique son nom à mon égard en disant que j'étais son disciple. ll est de mon devoir de déclarer en Israël en toute vérité qu'il est loin de moi de faire jeter l'opprobre contre notre maître, le grand et saint rav, quand son nom m'est adjoint. Je fais savoir en toute honnêteté que quiconque s'exprime ainsi se trompe totalement, parce que l'étude de notre maître était entièrement structurée selon la Halalha la plus claire, et toute la Tora était ouverte devant lui sans doute aucun, la loi écrite, la Michna, la Guemara de Babylonie et celle de Jérusalem, la Mekhilta, le Sifra, le Sifri et la Tossefta, les Midrachim et le Zohar, et toutes les paroles connues des Tanaim et des Amoraim : dans tout cela, il avait sa place ;

il pouvait trancher entre les diverses questions s'en dégageant, partout il avait son mot à dire, il savait écouter et ajouter sans fin des lois, des explications midrachiques, des homélies et des secrets les plus profonds : comment, dès lors, pourrais-je porter le front haut et admettre que l'on me nomme son disciple ? Je n'ai en rien eu le mérite de recevoir de sa splendeur. Je n'ai pas même d'esprit clair dans un traité, car les doutes sont très nombreux et les réponses rares. Les quelques jours [N.D.L.R. : expression de modestie: il s'agit de quelques annéesl où j'ai pu être auprès de lui ne m'ont permis que de comprendre la forme extérieure de la Guemara, après de sérieux efforts."

La sincérité de rabbi 'Hayim ne fait aucun doute dans ce texte: il ne s'agit pas de formules vides de sens. Rabbi 'Hayim, dans cette circulaire, lance son grand projet de Yechiva, et aurait tout intérêt à ce que le public s'intéresse à son projet et à lui en tant que disciple du Gaon. Cependant, il ressent en lui-même une telle distance entre ses capacités et celles de son maître qu'il tient à faire savoir à tous que nul ne peut en réalité se targuer du titre d'"élève" du Gaon.

Pour ce qui concerne nos générations, citons ici l'expression du 'Hazon Ich à propos du Gaon :

"...Nous accordons au Gaon une place dans la lignée de Moché rabbeinou, d'Ezra, de rabéinou haQadoch [rabbi Yehouda, le rédacteur de la Michnal, rav Achi [rédacteur de la Guemaral, et du Rambam. Le Gaon a eu un rôle de révélateur de la Tora, car ce saint personnage était prévu pour cette fonction ; il occupe une place semblable à celle des Richonim, ce qui lui permet de s'opposer à eux dans certains cas avec force et virulence. Il se permet de prendre parfois des positions autres que celles du Rif ou celles du Rambam pour la même raison. Nous ne sommes pas en mesure de nous représenter son degré de sainteté, de travail sur lui-même, ni de l'étendue de sa compréhension, son assiduité et sa large connaissance dans toute la Tora […l. On ne peut pas non plus s'étonner du fait qu'il s'oppose au Choul'han 'Aroukh, chose qu'il fait dans des centaines d'endroits (Lettres du 'Hazon Ich, 1,32).

Le Gaon comparé aux autres maîtres

Ce qui se passe du reste avec Ie Gaon quand il se permet d'aller à l'encontre de Richonim dans les textes, sans le moindre appui des grands auteurs, est valable également dans le domaine de la Qabbala : alors qu'il est inconcevable que quiconque s'oppose au Ari zal, le Gaon se le permet assez souvent ! Nul ne lui a refusé ce droit, ce qui prouve à quel point le Gaon a été perçu en son temps comme étant d'une dimension dépassant largement celle de ses contemporains.

Du reste, les sages contemporains du Gaon savaient tous que toute leur sagesse s'arrêtait à la porte du Klauz du Gaon : là, toujours, ils se trouvaient en face d'une personne supérieure, sachant répondre immédiatement, avec originalité et précision, à chaque question, à chaque remarque, à chaque interrogation.

La précision des connaissances du Gaon était telle qu'il était capable de donner le décompte du nombre de fois où il est question de Soucca pessoula ou de Soucca kechéra dans le traité Soucca, etc.

A quelle génération précise peut-on comparer le Gaon ? La question a été posée par un interlocuteur à rabbi 'Hayim de Volozhyne proposant de le comparer aux maîtres de l'époque de la Michna. Il lui a rétorqué : "Au maximum au "Rachba", un maître médiéval !" Ni plus. Ni moins.

Rabbi 'Hayim de Volozhyne a été amené à parler aussi du niveau de son frère, rabbi Chelomo Zalman z. ts. l., décédé très jeune, et dont les qualités exceptionnelles laissaient penser qu'il deviendrait un des dirigeants de sa génération. Selon les disciples de rabbi 'Hayim, la grandeur de rabbi Chelomo Zalman z. ts. l. était comparable à celle du Gaon.

Ils furent très surpris d'entendre combien leur maître rejetait violemment cette conception: s'il était juste que son frère, rav Chelomo Zalman, savait parfaitement les textes classiques, comme tout le monde ou un peu mieux, le Gaon, quant à lui, connaissait les textes si bien qu'il était capable de les lire en partant de la fin ce que nul n'est capable de faire, même en ce qui concerne les textes les plus connus, tel "Achré yochevé"...

Les raisons de la présence d'une personnalité de cette envergure dans sa génération

Comment dès lors comprendre que la Providence ait permis l'existence d'une telle personnalité dans une génération relativement si peu marquante que celle de la fin du XVIIIème siècle ? L'un des proches du Gaon explique :

"Bien que les générations aillent en régressant et que les cœurs perdent de leur force, comme le disent nos sages ('Erouvin 53b), ce qui s'est passé avec notre grand maître z. ts. l. n'est cependant pas incompréhensible. Il a été d'une dimension que l'on n'a plus rencontrée depuis les Savoraim et les Gueonim, une personnalité encyclopédique (Sota 47b). Et en effet, le Ari zal a déjà enseigné que cette régression est une règle générale : elle concerne la génération dans son ensemble, mais une personne spécifique, par contre, peut être investie, en une génération à bout de souffle, d'une âme supérieure à celles des générations précédentes afin d'apporter à sa génération et à celles à venir une possibilité de réparation. Car D. n'abandonne pas son peuple quand Il constate sa chute."

Il faut remarquer par ailleurs que le Gaon a vécu à une période où, comme du temps de rav Sa'adya Gaon quelques mille ans auparavant, une hérésie spécifique a vu le jour : celle des Karaites, qui ne sont autres que les descendants de disciples ayant abandonné la voie de l'orthodoxie au temps de rav Sa'adya.

Le Gaon a, lui aussi, joué un rôle d'une très grande importance dans la guerre d'influence qui avait cours à son époque - quand les Frankistes étaient au summum de leur hérésie et que les Maskilim commençaient eux aussi à provoquer certaines réformes dans le Judaïsme traditionnel.

Certains veulent du reste dire que l'idée d'une grande institution telle que la Yechiva de Volozhyne ne soit que le fruit de la recherche d'un système qui, selon le Gaon, puisse sauvegarder la jeunesse de toutes ces pernicieuses attaques.

Une courte biographie du Gaon

Tentons de montrer, par quelques détails biographiques, en quoi rabbi Eliyahou de Vilna est effectivement un personnage d'un niveau différent des autres sages.

Rabbi Eliyahou est né le premier jour de Pessa'h 5480/1720 à Selets, dans la région de Grodno en Lituanie, d'une famille de rabbanim connus. Il était le fils de rabbi Chelomo Zalman, et comptait dans son ascendance rabbi Moché Rivka's, l'auteur du "Beor haGola".

A l'âge de sept ans déjà, il éblouit les sages de Vilna par une deracha qu'il prononce dans la grande synagogue de Vilna. Il étudie encore avec un ami, mais, dès dix ans, il étudie tout seul, acquérant une connaissance extraordinaire de tous les textes talmudiques.

A une occasion, il avait fait vœu d'étudier deux traités très difficiles, Zeva'him et Mena'hoth, jusqu'à la fête de Sim'hath Tora. Il avait onze ans. Le soir de cette fête, il s'est rappelé de son vœu. Au courant de la nuit, il a étudié ces deux traités. Une personnalité rabbinique se rendit compte de la chose, et testa la manière dont ce jeune savait ces traités, en lui posant des questions. A chacune, il sut donner plusieurs réponses, et l'interrogateur prit conscience qu'il avait devant lui un jeune à l'avenir plus qu'exceptionnel.

Son fils, rabbi Avraham, écrit qu'à l'âge de dix ans il étudiait déjà les écrits du Ari zal ainsi que le Zohar (6), A rabbi 'Hayim de Volozhyne qui le questionnait quant à la possibilité de créer un Golem en utilisant le Séfer Yetsira, en particulier selon les commentaires du Gaon, ce dernier répondit qu'en effet cela n'était pas hors de portée ; quant à lui, il avait une fois tenté d'en créer un, mais constata qu'on ne le laissait pas faire. Sans doute, ajouta-t-il, du fait de son jeune âge... Rabbi 'Hayim a compris qu'il n'avait alors pas encore atteint alors l'âge de la Bar Mitswa.

Il ne faut cependant pas s'imaginer que les facilités d'esprit du Gaon lui ouvraient les portes sans problèmes : rabbi 'Hayim de Volozhyne, arrivé un vendredi à Vilna, fut appelé à se rendre sans tarder auprès du Gaon. Il trouva la maison sens dessus dessous : depuis trois jours, le Gaon ne mangeait ni ne buvait plus, et le peu de contacts qu'il avait avec son entourage était rompu. Rabbi 'Hayim rentra chez le Gaon, qui l'accueillait toujours. Le problème ? Un texte spécifique du Talmud de Jérusalem dont la teneur échappait au Gaon depuis quelques jours. Rabbi 'Hayim proposa une ouverture qui fut acceptée par le Gaon, lequel conclut: comme le disent nos sages, ce sont les disciples qui apportent le plus au maître !

Son assiduité dans l'étude dépassait elle aussi la norme : une année, il fit les compte du temps perdu durant les douze mois passés. A ses élèves, surpris, il déclara qu'il était arrivé à la conclusion qu'il avait perdu trois heures entières au courant de l'année sans étudier.

Du fait de cette assiduité extraordinaire, il n'avait que peu de contacts avec sa famille. A une sœur venue lui rendre visite après des dizaines d'années sans s'être rencontrés, il n'a accordé que quelques instants, avant de retourner à son étude.

Ses fils racontent qu'il ne dormait pas plus que deux heures sur 24. Et, en tout cas, il n'a jamais dormi plus d'une demi-heure de suite.

Il ne faut pas croire que le Gaon vivait dans l'aisancef: il avait beau être une des personnalités uniques en sa génération, il n'en a pas moins vécu dans la pauvreté, sans jamais accepter de poste officiel, et la faim et le froid étaient monnaie courante dans sa maison.

Son unique soutien provenait d'un fonds que son aïeul, rabbi Moché Rivka's, avait organisé. La communauté de Vilna, voyant la situation précaire dans laquelle vivait le Gaon, avait décidé de lui attribuer une aide provenant de cette source (en 1785, il s'agissait d'une aide hebdomadaire de 28 zloty). Cependant, la personne préposée à l'envoi régulier de cette somme conservait souvent l'argent par-devers elle ! Le Gaon, pour sa part, n'a jamais voulu se plaindre, malgré l'extrême pauvreté dans laquelle lui et sa famille étaient plongés. Ce n'est que sur son lit de mort que le délégué de la communauté avoua son méfait.

Bien qu'entièrement plongé dans l'étude, le Gaon était mêlé à de nombreuses actions sociales : il accordait jusqu'à concurrence d'un cinquième de ses maigres revenus à l'aide à autrui, mariage d'orphelins ou délivrance de prisonniers.

On ne reculait pas, dans les générations passées, devant les difficultés: des personnalités importantes quittaient leur domicile et leur communauté pour un exil volontaire, se comportant alors comme l'un des mendiants pauvres qui abondaient à l'époque. L'exil, sans doute, permettait d'expier certaines fautes de jeunesse; c'était l'occasion également de rencontrer les justes de la génération, et de s'inspirer de leur conduite.

Il se peut que l'exil du Gaon ait été fondé sur un troisième motif: les livres imprimés étaient rares en Lituanie, à plus forte raison les anciens manuscrits. Or le Gaon était très impliqué dans la correction des textes: il se peut qu'il ait cherché à vérifier le plus de textes possible.

Certains précisent qu'à cette période, le Gaon a rencontré deux des 36 justes que 1'on trouve à chaque génération : rabbi Yechaya' de Zochovitz et rabbi Moché de Ivye. Le premier était surtout connu pour son accueil généreux à tout venant; le second était un "simple" précepteur privé, que le Gaon, déjà sur le retour et célèbre, avait forcé à se dévoiler.

Cet exil l'a amené jusqu'en Allemagne et a duré quelques années. On ignore quand il a commencé.

Le Gaon est rentré à Vilna en 5508/1748 à peu près. Bien que déjà célèbre, il refusa, sa vie durant, tout poste public, restant enfermé dans sa chambre, jour et nuit, à étudier à la lumière de la bougie. De nombreuses personnes voulaient lui demander conseil, mais rares étaient ceux qui y parvenaient.

A partir de l'âge de quarante ans, il enseigna surtout à ses disciples.

Il avait des relations très spéciales avec le rav Ya'aqov Kranz, le "maguid" de Doubno, qu'il invitait de temps à autre pour lui faire la morale. ..

Il n'avait que trente-cinq ans quand rabbi Yonathan Eibeshutz lui demanda d'intervenir dans la grande discussion qui l'opposait à rabbi Ya'aqov Emden dans l'"affaire des amulettes" qui troublait alors les esprits dans toute l'Europe.

Bien que le Gaon n'ait pas été impliqué en général dans la vie publique, il s'est tout de même investi dans l'un des épisodes les plus dramatiques que la communauté juive de Vilna ait connu de son temps, I'affaire du comte Valentin Pototski. Ce membre d'une famille chrétienne appartenant à la haute société lituanienne, destiné à une carrière religieuse, décida d'épouser la foi juive ; par la suite d'une dénonciation, il fut jeté en prison, soumis à des pressions pour qu'il regagne le giron de l'Eglise. Il finit par être condamné au bûcher. Le Gaon fit tout ce qui était en son pouvoir pour aider ce converti, mais sans succès: il fut exécuté le second jour de Chavou'oth. Une partie de ses cendres reposent à côté de la tombe du Gaon, dans le cimetière de Vilna.

Dans les dernières années de sa vie, le Gaon fut aussi mêlé à une affaire concernant un jeu ne Juif de la ville qui avait abandonné la Tora. Suite à diverses tentatives pour le sortir des mains de l'Eglise, le Gaon, ainsi que d'autres dignitaires, furent jetés en prison. Le Gaon traversera derrière les barreaux deux périodes qui l'éprouveront fortement.

Il tomba malade, mais n'ira pas consulter les médecins, suivant l'avis du Ramban. Vers la fin, le médecin juif de la ville, rav Ya'aqov Lioubavitch, fut invité: à la question des fils de savoir où en était le Gaon. Le docteur répondit: "Il en est au traité de Kélim", d'après ce que le médecin avait pu entendre du Gaon, qui ne cessait d'étudier, même en ses derniers moments…

Il décéda le troisième jour de Souccoth de l'an 5557/1797.

Le Ba'al ha Tanya a fait une déclaration formelle de prise de deuil lors du décès du Gaon, dont personne n'était parvenu à égaler la grandeur.

Ses principaux élèves étaient les deux frères de Volozhyne, rabbi 'Hayim et rabbi Chelomo Zalman, auxquels les historiens ajoutent une longue liste de quelques dizaines de personnalités considérées comme proches du Gaon, dont, bien sur, rabbi Israel de Schklov, l'auteur du "Péath haChoul'han", qui fait partie de ceux qui sont montés en Erets Israel, ainsi que rabbi Mena'hem Mendel de la même ville.

Ses enfants comptèrent également au nombre de ses importants disciples: il a eu trois garçons et trois filles. L'aîné est rabbi Chelomo Zalman; le cadet est rabbi Yehouda Lev, qui, avec son autre frère, plus considéré encore, rabbi Avraham, a beaucoup contribué à la parution des écrits de leur père. L'un de ses gendres était rabbi Yits'haq, le fils de rabbi Avraham Danzig, l'auteur du "'Hayé Adam"